Débats du Sénat (Hansard)
1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 105
Le jeudi 9 mars 2023
L’honorable George J. Furey, Président
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- AFFAIRES COURANTES
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- ORDRE DU JOUR
LE SÉNAT
Le jeudi 9 mars 2023
La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.
Prière.
[Traduction]
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
Le Mois de l’histoire des Noirs
L’honorable Brian Francis : Honorables sénateurs, chaque année, en février, les Canadiens célèbrent le Mois de l’histoire des Noirs. C’est l’occasion de rendre hommage aux Canadiens noirs qui ont contribué à bâtir leurs communautés et leur pays.
Cette année, le thème pour le Mois de l’histoire des Noirs est « À nous de raconter ». Ce thème représente :
[…] à la fois une occasion d’engager un dialogue ouvert et à en apprendre davantage sur les histoires que les communautés noires du Canada ont à raconter sur leur vécu, leurs succès, leurs sacrifices et leurs triomphes.
C’est dans cet esprit que les sénateurs et le personnel du Groupe progressiste du Sénat ont participé le mois dernier à une journée entière de formations. Pour commencer, on nous a donné un aperçu fascinant de l’histoire souvent méconnue des Afro-Canadiens et de leur contribution à la société canadienne.
Cette leçon d’histoire nous a été donnée par Aly Ndiaye, mieux connu sous le nom de Webster, l’un des pionniers du mouvement hip-hop au Québec. J’ai été heureux d’apprendre qu’il a récemment été nommé à la Commission des lieux et monuments historiques du Canada. Sa contribution sera précieuse.
Nous avons également écouté Victoria Gay-Cauvin, qui nous a transmis des informations essentielles sur le racisme systémique dans le cadre du développement économique. Dans ce contexte, Frantz Saintellemy a présenté des mesures concrètes que nous pouvons prendre pour améliorer la situation.
Ces séances ont été un outil précieux pour nous aider à apprendre, mais également pour nous rappeler qu’il reste encore beaucoup à faire pour lutter contre le racisme au Canada. Bien que le Mois de l’histoire des Noirs soit terminé, notre travail se poursuit.
Honorables sénateurs, je suis heureux d’avoir l’occasion d’apprendre de nos collègues et je tiens à remercier en particulier la sénatrice Wanda Thomas Bernard et la sénatrice Amina Gerba de tout le travail qu’elles accomplissent. Je suis fier de pouvoir dire qu’elles sont mes collègues et aussi mes amies. Ces deux Afro‑Canadiennes sont des modèles pour les générations futures et sont à l’avant-garde de la lutte contre la stigmatisation et le racisme.
Les membres du Groupe progressiste du Sénat partagent la même vision inspirée du terme algonquin mamidosewin, qui signifie à la fois lieu de rencontre et le fait de se diriger ensemble dans la même direction. Ce principe nous guide pour la réconciliation avec les peuples autochtones, mais aussi pour le redressement des torts causés par toutes les formes de racisme au pays.
Au nom du Groupe progressiste du Sénat, je tiens à remercier la sénatrice Amina Gerba et son personnel d’avoir organisé une journée de formation aussi utile. Nous sommes impatients d’en apprendre plus alors que nous avançons ensemble dans la même direction.
We’lalin. Merci. Asante.
Les Jeux d’hiver du Canada de 2023
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, à l’image du sénateur Manning, je prends la parole aujourd’hui pour vous présenter le troisième chapitre des « Aventures de Myla Plett au curling ».
À ma dernière intervention, j’avais raconté que Myla et l’équipe Plett avaient remporté l’or au championnat albertain de curling féminin chez les moins de 18 ans, au championnat albertain des moins de 20 ans, ainsi qu’aux essais en prévision des Jeux d’hiver du Canada.
Ainsi, la prochaine étape était le championnat canadien de curling chez les moins de 18 ans, qui a eu lieu à Timmins, en Ontario, du 5 au 11 février, au club de curling McIntyre.
Le club et Curling Canada ont organisé un événement de calibre mondial, et je suis heureux de vous informer que l’équipe Plett y a remporté neuf victoires en autant de parties, si bien qu’elle en est ressortie championne canadienne de curling féminin chez les moins de 18 ans pour la deuxième année consécutive.
Chers collègues, l’équipe adversaire qui a été la plus difficile à battre à Timmins a été l’équipe de la Nouvelle-Écosse. Lors de cette rencontre, les équipes ont dû jouer un bout supplémentaire pour briser l’égalité. Le sort a voulu que l’équipe Plett affronte à nouveau cette même équipe aux Jeux d’hiver du Canada.
Cette année, les jeux se tenaient à l’Île-du-Prince-Édouard, du 19 février au 4 mars. Mon épouse Betty et moi avons eu le privilège d’y assister.
À notre arrivée à Charlottetown et aux cérémonies d’ouverture, nous avons eu droit à une excellente réception de la part du premier ministre Dennis King et des gens de l’Île-du-Prince-Édouard. À cette occasion, l’ensemble des 3 600 athlètes, entraîneurs et membres du personnel de soutien ainsi que les milliers de visiteurs ont été désignés Prince-Édouardiens honoraires pour la durée complète des jeux d’hiver.
Tout au long de la semaine, Betty et moi avons été chaleureusement accueillis par les sénateurs Brian Francis, Percy Downe et Stan Kutcher, ainsi que par notre ancienne collègue la sénatrice Diane Griffin, qui se sont montrés très accueillants à notre égard en nous invitant à différents dîners et soupers.
Chers collègues, quelle semaine de curling ce fut. Après avoir terminé le tournoi à la ronde à égalité avec la Nouvelle-Écosse avec des résultats identiques de 4-1, l’équipe Plett a remporté ses matchs de quart de finale et de demi-finale. Elle s’est ensuite retrouvée à nouveau opposée à la même équipe de Nouvelle-Écosse en finale. La Nouvelle-Écosse a joué un match exceptionnel, nous battant en finale et remportant la médaille d’or, alors que l’équipe Plett remportait la médaille d’argent.
Je tiens à féliciter sincèrement l’équipe féminine de la Nouvelle‑Écosse, composée de Sophie Blades en tant que capitaine, Kate Weissent en tant que troisième joueuse, Stephanie Atherton en tant que deuxième joueuse, et Alexis Cluney en tant que première joueuse. Elles se sont battues avec acharnement pour obtenir leur médaille d’or et peuvent être fières de leur prestation.
Par ailleurs, les garçons de la Nouvelle-Écosse ont également remporté la médaille d’or. Je tiens aussi à féliciter ma petite-fille Myla Plett et ses coéquipières, Alyssa Nedohin, Chloe Fediuk et Allie Iskiw, pour la médaille d’argent qu’elles ont remportée. Vous avez encore une fois fait preuve d’un excellent esprit sportif et vous continuez de nous rendre fiers. Je sais que tous mes collègues du Sénat attendront avec impatience le chapitre 4 de cette série, dans lequel je leur ferai part de vos succès aux championnats canadiens juniors de curling, qui seront organisés à Québec à la fin mars.
(1410)
Chers collègues, je vous invite à vous joindre à moi pour féliciter tous les athlètes qui ont participé aux prestigieux jeux d’hiver à l’Île-du-Prince-Édouard et à leur souhaiter bonne chance dans la poursuite de leur entraînement dans la quête de l’excellence dans leur discipline sportive respective. Merci, chers collègues.
Visiteur à la tribune
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Felix Daniel Uiyaki Aupalu, fondateur et directeur du programme All Arctic. Il est l’invité de l’honorable sénatrice Coyle.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
Le décès de Peter A. Herrndorf, C.C., O.Ont.
L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour vous raconter l’histoire d’un grand Canadien qui a été louangé pour son leadership et ses contributions remarquables aux secteurs des arts et des médias du Canada.
Peter Herrndorf, un géant — au propre comme au figuré — de ces deux secteurs et de tout ce qui se trouve entre les deux, est malheureusement décédé le mois dernier, entouré de son chef d’œuvre — sa famille bien-aimée : son épouse Eva Czigler et ses enfants Katherine et Matthew. J’étais si heureuse de savoir qu’il était devenu grand-père, avec la naissance de Nico quelques mois seulement avant son décès.
Oui, comme l’ont dit fort justement les nombreuses personnes qui ont rendu hommage à cet homme merveilleux, Peter Herrndorf a été un touche-à-tout du journalisme canadien. Il était l’éditeur idéal, le parrain des arts canadiens, un magnat des médias, l’un des plus grands représentants du milieu culturel canadien, un homme ayant une grande vision et un grand cœur.
Son apport novateur, extraordinaire et révolutionnaire au Centre national des Arts; à notre radiodiffuseur national, CBC/Radio‑Canada; à TVOntario; au magazine Toronto Life; au festival Luminato; et au Festival de Stratford, entre autres, montrent clairement que Peter Herrndorf mérite ses louanges.
Cependant, j’aimerais souligner aujourd’hui que Peter Herrndorf a aussi exercé une influence sur beaucoup d’autres aspects de la société canadienne, une contribution qui est bien plus difficile à mesurer.
À l’instar de nombreux Canadiens, j’ai eu la chance d’être dans l’orbite de M. Herrndorf. Comme d’autres, je défendais une cause à laquelle il s’intéressait.
Lorsque j’ai fait la connaissance de M. Herrndorf, il était le nouveau président et chef de la direction du Centre national des arts. Quant à moi, j’étais la nouvelle directrice de l’Institut international Coady de l’Université St. Francis Xavier, en Nouvelle-Écosse. M. Herrndorf participait à un événement que nous organisions à l’édifice du Centre. Ce qu’il a alors entendu lui a plu, et il m’a offert son aide.
M. Herrndorf en est venu à organiser des réceptions pour nous chez lui, à Toronto, et au Centre national des arts. Ces réceptions se sont révélées très fructueuses pour notre institution, en permettant de soutenir des chefs de file communautaires au Canada et à l’étranger.
M. Herrndorf est également devenu un ami et un mentor. Que ce soit au téléphone ou en personne, il était toujours là pour me conseiller, comme en 2018, lorsque j’ai été nommée sénatrice. Il m’a invitée au restaurant pour me peindre un portrait de la situation à Ottawa.
Chers collègues, mon expérience démontre parfaitement qui était Peter Herrndorf. En plus d’exceller dans son travail officiel plutôt important — transformer le milieu canadien des arts de la scène —, il a eu une influence positive énorme dans beaucoup d’autres secteurs déterminants partout au pays et dans le monde.
Chers collègues, Peter Herrndorf était un trésor national. Qu’il repose en paix.
Wela’lioq, merci.
[Français]
La Journée internationale des femmes
L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Chers collègues, cette année, j’ai pris la décision de parler de la Journée internationale des droits des femmes le 9 mars.
Vous me direz sans doute que je suis en retard ou bien vous me demanderez pourquoi en parler le 9 mars. Parce que pour moi, chaque journée de l’année devrait compter pour parler des droits des femmes. D’ailleurs, ne devrait-on pas se rappeler tous les jours de l’année l’importance de reconnaître les droits des femmes, plutôt qu’uniquement une journée dans l’année.
Ma mère me le rappelait tous les jours, elle qui à 18 ans était déjà diplômée universitaire, qui a eu 10 enfants et enseigné 35 ans, jusqu’à l’âge de 65 ans. Ma mère ne nous a jamais rappelé, ni à mes frères ni à mes sœurs, le respect de ses droits. Elle nous a transmis cette valeur fondamentale — je dirais ce devoir — de respecter la femme et la mère qu’elle était.
Depuis l’assassinat de ma fille Julie, il y a 20 ans, le combat pour les droits des femmes, particulièrement le droit d’être mieux protégées, fait partie de mon ADN. La mort de ma fille Isabelle, quelques années plus tard, m’a rappelé à quel point le combat des femmes pour la reconnaissance de ce droit fondamental était au centre de leur sentiment de sécurité dans notre société, à quel point ce combat devait être partagé avec le plus d’hommes possible. Ce combat n’appartient pas seulement, dans ma tête et dans mon cœur, aux femmes. Il appartient avant tout à tous les hommes, les pères, les frères, les maris, les amis et ces hommes, importants dans la vie de toutes les femmes et les filles, qui doivent s’investir à côté de leur mère, de leurs sœurs, de leur conjointe, de leurs amies pour que ces femmes ne mènent pas ce combat seules.
Le thème de la Journée internationale des droits des femmes de cette année est « Chaque femme compte ». Je pense à toutes ces femmes et ces filles qui ont vécu, comme enfant ou comme conjointe, l’enfer de la violence parce qu’elles étaient « une femme qui ne comptait pas »; des blessures qu’un homme lui infligeait parce qu’elle était une femme.
Aujourd’hui, les femmes reprennent peu à peu le pouvoir sur leur vie parce qu’elles reprennent le droit de parler, de dénoncer. Cette prise de parole est fragile parce que les femmes victimes ont perdu confiance au système de justice. Cette perte de confiance est une profonde cicatrice qui ne sera atténuée que si, et seulement si, nous en faisons une priorité ici, dans cette enceinte.
Honorables sénatrices et sénateurs, ayons une pensée profonde pour ces 185 femmes assassinées en 2022 parce qu’elles étaient des femmes. Ces femmes assassinées, disons-le aujourd’hui : chacune de ces femmes comptait. Toutefois, on a négligé de les protéger.
Pour donner un véritable sens au thème de la Journée internationale des droits des femmes, prenons cet engagement de mieux les protéger en 2023. Honorables sénatrices et sénateurs, prenons cet engagement parce que chaque femme compte.
Le décès de Marcel A. Desautels, O.C.
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Merci, sénateur Boisvenu, pour ce beau témoignage.
Le mardi 31 janvier, Saint-Boniface a perdu un véritable héros : le philanthrope visionnaire Marcel A. Desautels.
On se souviendra surtout de ce Franco-Manitobain pour ses contributions au milieu de l’enseignement postsecondaire au Canada, auquel il a donné des dizaines de millions de dollars. Outre l’Université du Manitoba et l’Université de Saint-Boniface, l’Université de Toronto et l’Université McGill ont aussi profité de sa générosité et comptent plusieurs facultés et bourses portant son nom.
Cet homme d’affaires accompli a été à la tête de l’entreprise Créditel, l’une des plus grandes agences de crédit du pays regroupant 16 bureaux, qu’il a vendue à un concurrent américain.
À titre de rectrice de l’Université de Saint-Boniface, je peux personnellement témoigner du grand attachement de M. Desautels, non seulement à l’Université de Saint-Boniface, mais également à l’Université du Manitoba. Par exemple, en 2008, il a versé 20 millions de dollars à sa Faculté de musique, soit le plus important don privé jamais reçu par l’Université du Manitoba et l’un des plus importants jamais faits à un département de musique au Canada.
En 2009, il a été le donateur principal et le président de VISION, la plus grande campagne de financement de l’histoire de l’Université de Saint-Boniface, qui visait à amasser 15 millions de dollars. Un pavillon, inauguré en 2011, porte d’ailleurs son nom à l’Université de Saint-Boniface et accueille les programmes de sciences de la santé et l’École de travail social.
Toutefois, son travail philanthropique remarquable n’est pas la seule raison de se souvenir de cet avocat et homme d’affaires francophone. Il a attribué une bonne partie de sa réussite à la formation classique qu’il a reçue des jésuites, au Collège de Saint‑Boniface. Marcel Desautels consacrait volontairement de nombreuses heures à des rencontres avec des étudiants afin de les encourager et de les soutenir personnellement dans leurs projets. Il est devenu une source d’inspiration.
L’histoire de Marcel Desautels est celle d’un réel visionnaire. Elle montre comment, avec détermination, un citoyen peut laisser son empreinte non seulement chez lui, mais partout au pays. Surtout, pour les Canadiennes et Canadiens, M. Desautels illustre bien ce que signifie donner en retour à sa collectivité.
Repose en paix, cher Marcel.
(1420)
[Traduction]
La persécution des bahá’í en Iran
L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole à propos de la persécution des baha’is en Iran. Nous avons récemment beaucoup entendu parler de la persécution des femmes en Iran. Or, les baha’is sont persécutés en Iran depuis plus de 40 ans. La foi baha’ie est une religion pacifique dont les adhérents sont persécutés en Iran depuis plus de 40 ans.
Bien qu’ils représentent la plus grande minorité religieuse non musulmane en Iran, les baha’is se voient systématiquement refuser leurs droits fondamentaux, notamment la liberté de pratiquer leur religion, ainsi que l’accès à l’éducation et à l’emploi.
Cette situation a entraîné la réincarcération de deux anciennes dirigeantes de la communauté, Mahvash Sabet et Fariba Kamalabadi, qui sont toutes deux des grands-mères et de puissants symboles de résilience. Mahvash et Fariba ont été emprisonnées pendant 10 ans sur la base de fausses accusations et elles risquent à présent de passer 10 années supplémentaires derrière les barreaux. Leur âge avancé et leur santé chancelante rendent leur situation encore plus déchirante. Leur emprisonnement au seul motif de leurs convictions religieuses est injustifiable et indéfendable. Toutefois, leur courage face à l’adversité représente une source d’inspiration pour nous tous.
En tant que membres de la communauté internationale, nous avons la responsabilité d’être solidaires de toutes les femmes iraniennes, y compris des femmes comme Mahvash et Fariba. Leur libération, ainsi que celle de tous les prisonniers d’opinion en Iran, doit constituer notre priorité absolue. Il est de notre devoir d’exhorter les chefs de gouvernement à s’impliquer et à soulever cette question dans divers forums, comme au Conseil des droits de l’homme, qui se tient actuellement à Genève.
La réincarcération de Mahvash Sabet et de Fariba Kamalabadi a beaucoup affecté la communauté baha’ie, tant en Iran qu’ailleurs dans le monde. Honorables sénateurs, comme vous le savez, de nombreuses personnes de confession baha’ie vivent au Canada.
Tout d’abord, cela a causé d’énormes souffrances aux familles de ces deux femmes, qui avaient déjà dû subir une décennie d’isolement et d’angoisse lors de leur incarcération précédente. Leur réincarcération a aussi ébranlé la communauté baha’ie, qui est persécutée depuis longtemps en Iran. Au sein de la communauté baha’ie, nombreux sont ceux qui ont condamné la réincarcération de Mahvash et de Fariba et qui ont réclamé leur libération immédiate.
Honorables sénateurs, les baha’is continuent de se battre malgré les difficultés auxquelles ils doivent faire face. Je vous exhorte à les appuyer et à ne pas oublier la situation difficile qu’ils doivent endurer.
AFFAIRES COURANTES
Le Conseil du Trésor
Dépôt des plans ministériels de 2023-2024
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, les plans ministériels de 2023-2024.
[Français]
Règlement, procédure et droits du Parlement
Dépôt du cinquième rapport du comité
L’honorable Diane Bellemare : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le cinquième rapport (provisoire) du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement intitulé Équité entre les partis reconnus et les groupes parlementaires reconnus. Je propose que l’étude du rapport soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.
(Sur la motion de la sénatrice Bellemare, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)
Projet de loi relative au cadre national sur les cancers liés à la lutte contre les incendies
Première lecture
Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-224, Loi concernant l’élaboration d’un cadre national sur la prévention et le traitement de cancers liés à la lutte contre les incendies, accompagné d’un message.
(Le projet de loi est lu pour la première fois.)
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons‑nous le projet de loi pour la deuxième fois?
(Sur la motion du sénateur Yussuff, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)
Projet de loi sur le Mois du patrimoine arabe
Première lecture
Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-232, Loi instituant le Mois du patrimoine arabe, accompagné d’un message.
(Le projet de loi est lu pour la première fois.)
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons‑nous le projet de loi pour la deuxième fois?
(Sur la motion du sénateur Gold, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)
[Traduction]
PÉRIODE DES QUESTIONS
Les affaires étrangères
L’intégrité des élections
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader du gouvernement, pourquoi le premier ministre est-il totalement incapable de dire la vérité aux Canadiens? Qu’il s’agisse des journalistes ou des parlementaires, personne n’obtient de lui une réponse franche. Global News rapporte que la direction chargée de l’évaluation du renseignement étranger au sein du ministère du premier ministre, le Bureau du Conseil privé, a préparé un rapport spécial en janvier 2022 à l’intention du premier ministre et des cadres supérieurs du Cabinet du premier ministre. On peut y lire ce qui suit :
Un montant important destiné aux élections fédérales a d’abord été envoyé clandestinement au consulat de Toronto par la République populaire de Chine, puis a été transféré à un député provincial par l’intermédiaire d’un membre du personnel d’un candidat aux élections fédérales de 2019.
Hier, à l’autre endroit, le premier ministre a été interrogé à plusieurs reprises à ce sujet. Il a tout fait sauf répondre aux questions. Pourquoi pas, monsieur le leader? Pourquoi ne peut-il pas nous dire la vérité?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Je pense toutefois que l’hypothèse qui sous-tend votre question est trompeuse. Je ne vais pas répéter tout ce que j’ai dit hier.
Le premier ministre et le gouvernement ont mis en place plusieurs mesures pour tenter de déterminer non seulement ce qui s’est passé, mais aussi de quelle manière nous pouvons nous protéger à l’avenir. Cela inclut le renvoi de l’affaire au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, qui a accepté de l’étudier, je crois, et à l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, qui définira son propre mandat et son champ d’étude; la nomination d’un rapporteur spécial; le lancement de consultations publiques pour guider la création d’un registre de transparence sur l’influence étrangère; et l’établissement, au sein de Sécurité publique Canada, d’un bureau chargé de la coordination de nos efforts de lutte contre l’ingérence étrangère.
(1430)
Ces processus sont appropriés, compte tenu de la sensibilité et de la nature classifiée des informations relatives à ces questions. La fuite d’informations à laquelle il a été fait référence hier, et qui est omniprésente dans les médias, n’est pas la manière dont un Parlement responsable doit traiter ces questions.
Le sénateur Plett : Eh bien, ma question portait sur les raisons pour lesquelles il ne répond pas aux questions, et non sur ses activités connexes, mais puisque vous mentionnez le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, parlons d’un autre document fourni par Global News, un exemplaire non caviardé d’un rapport datant d’août 2019, préparé par le comité.
Ce comité relève directement du premier ministre. Le premier ministre et son personnel approuvent les caviardages ou les modifications aux rapports du comité préalablement à leur publication. Monsieur le leader, je souligne au passage que paradoxalement, le premier ministre, qui se vante du fait que tous les partis reconnus sont représentés au comité, a omis d’y nommer un sénateur de l’opposition officielle. Il a nommé des sénateurs supposément indépendants, mais pas de sénateurs du Parti conservateur du Canada.
Monsieur le leader, je suis curieux de savoir pourquoi.
Voici ma question — je vais continuer sur ma lancée. Global News affirme que le rapport :
[...] renferme plusieurs exemples d’ingérence électorale présumée de la part de la Chine entre 2015 et 2018, impliquant le ciblage et le financement de candidats.
Le premier ministre a sans doute vu le rapport, monsieur le leader. Il l’a vu et n’y a pas donné suite. Il y a lieu de se demander s’il veut que les fuites de ce rapport et du rapport du Bureau du Conseil privé fassent l’objet d’une enquête de la même manière qu’il veut que les dénonciateurs du Service canadien du renseignement de sécurité soient pourchassés.
Monsieur le leader, vous avez affirmé que le comité ferait toute la lumière sur cette question d’une manière responsable et prudente. Le comité devrait peut-être compter un représentant conservateur du Sénat. Cela pourrait nous aider.
Comment un comité secret pourra-t-il faire le nécessaire alors que le premier ministre ne tient pas compte de ses rapports?
Le sénateur Gold : La position du gouvernement est claire. Il fait confiance au comité de parlementaires et il accueille le travail que celui-ci a accompli. Comme je l’ai déjà dit, je recommande à tous les sénateurs de prendre connaissance du rapport sur l’ingérence étrangère. Le gouvernement continue de faire confiance aux membres du comité, qui représentent tous les partis.
Il nous reviendra...
Le sénateur Plett : Certains...
Le sénateur Gold : ... à titre de parlementaires d’évaluer la qualité du travail accompli grâce aux processus que j’ai mentionnés.
Je tiens aussi à rappeler que les articles des médias reposent en grande partie sur des fuites provenant de sources anonymes, ce qui semble malheureusement être une réalité de ce débat. À titre de Canadiens et de parlementaires, nous devrions éviter d’applaudir et d’approuver les fuites de renseignements classifiés faites par des gens qui se sont engagés, sous serment, à les protéger.
L’honorable Leo Housakos : Chers collègues, le leader du gouvernement se défend en alléguant que le Globe and Mail verse dans les fausses nouvelles et que nous ne pouvons pas faire confiance aux organes de presse légitimes. Intéressant.
Sénateur Gold, à plusieurs occasions dans vos réponses à nos questions hier, vous avez déclaré que nous devons prendre au sérieux les allégations d’ingérence étrangère dans notre système électoral. Je peux vous garantir, sénateur Gold, qu’il y a longtemps que le Sénat pose, continuellement, de très sérieuses questions à ce sujet. Le temps est venu pour votre gouvernement d’accorder tout le sérieux nécessaire pour combattre l’ingérence étrangère non seulement dans notre système électoral, mais à l’échelle de notre pays. Au cours des derniers jours, nous avons vu le premier ministre faire la girouette dans ses réponses à toutes ces allégations. Il ne fait preuve d’aucune fermeté et ne prend aucune mesure, si ce n’est que des tactiques dilatoires visant à cacher la vérité aux Canadiens.
Voici que, soudainement, un rapporteur spécial va résoudre le problème. Eh bien, sénateur Gold, en ce moment, le commissaire à l’éthique conseille à vos ministres de suivre une formation spéciale en matière d’éthique, car son bureau est trop occupé par l’autre endroit. Le gouvernement a accordé un nombre record de contrats à des consultants externes, et ce même si l’appareil fédéral ne cesse de grossir et qu’il est incapable d’offrir des services de base. C’est évident qu’il a maintenant besoin de quelqu’un pour lui prodiguer des conseils sur la façon de gérer les allégations d’ingérence étrangère pendant une campagne électorale, car selon ces allégations, son parti et lui auraient participé à cette ingérence.
Ma question concerne le premier ministre, qui répète ad nauseam depuis quelques jours que le gouvernement va tenir des consultations publiques afin de créer un registre des agents étrangers. Il est grand temps qu’on fasse ce qu’il faut. Une loi en ce sens existe déjà au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Australie, monsieur le leader.
Votre gouvernement a annoncé une consultation publique à cet effet il y a plus d’un an déjà. Est-ce qu’une date a été établie? Non. Est-ce que la méthodologie a été établie? Non. Quelles mesures ont été prises pour lancer cette consultation publique? Aucune.
Ma question est simple : quelles mesures concrètes ont été prises, outre ces annonces sans suite?
Le sénateur Gold : Eh bien, vous avez certainement inclus bien des mesures dans votre question. La consultation fait partie d’un train de mesures que j’ai déjà annoncé, et le gouvernement est d’avis que cette combinaison de mesures va permettre de traiter le problème de la façon la plus appropriée.
Le sénateur Housakos : Ces annonces ont été faites il y a un an. Le problème qui se pose aujourd’hui en raison du courage des fonctionnaires du Service canadien du renseignement de sécurité qui, de toute évidence, étaient exaspérés par le premier ministre — et qui ont dû s’adresser aux médias pour faire connaître cette affaire au public — est qu’ils ne font pas confiance au gouvernement. Le Sénat est saisi d’un projet de loi qui prévoit la mise en œuvre d’un registre des agents étrangers. Il est semblable à un projet de loi qui avait été déposé à l’autre endroit au cours de la législature précédente et que le gouvernement avait également ignoré.
Les deux projets de loi ont été rédigés après une large consultation de la diaspora et des communautés qui sont intimidées. Cela fait un an que ce projet de loi traîne ici, et M. Trudeau, honorables sénateurs, n’a pas pris la peine de s’exprimer une seule fois sur cette question. Il y a eu un discours, mais aucun suivi, que de la procrastination. Il incombe aux parlementaires d’étudier ces questions. C’est ce que le public attend de nous. C’est notre rôle et notre obligation.
Pourquoi ne faisons-nous pas notre travail? Pourquoi votre gouvernement n’appuie-t-il pas le projet de loi S-237, ne le renvoie‑t-il pas à un comité aux fins d’étude et ne fait-il pas en sorte que le Sénat l’adopte rapidement, comme nous l’avons fait pour d’autres projets de loi que nous jugeons d’intérêt public? Nous avons vu comment nous nous rassemblons rapidement sur des questions d’intérêt public et comment nous renvoyons rapidement ces projets de loi à l’autre endroit. Nous pouvons faire la même chose avec le projet de loi S-237 en lançant dès maintenant le processus plutôt que de perdre une autre année en consultations et risquer qu’il y ait peut-être d’autres élections avant que nous ayons accompli quoi que ce soit.
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. À l’instar du gouvernement, je reconnais l’importance des projets de loi d’intérêt public présentés au Sénat.
Comme vous le savez — étant donné que c’est la position que votre leader a prise à mon égard et que je l’accepte et la respecte —, les négociations concernant l’adoption de projets de loi qui n’émanent pas du gouvernement ne relèvent pas du bureau du représentant du gouvernement et sont laissées au soin des leaders des divers groupes parlementaires.
Les finances
Le Groupe de travail sur les femmes dans l’économie
L’honorable Tony Loffreda : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.
Il y a près de deux ans, j’ai posé une question concernant le Plan d’action du gouvernement pour les femmes dans l’économie. Comme nous avons célébré hier la Journée internationale des femmes, j’ai pensé qu’il serait opportun de vous poser une question sur les activités du groupe de travail créé pour améliorer l’équité entre les genres et s’attaquer aux obstacles systémiques et aux iniquités que rencontrent les femmes dans la sphère économique, particulièrement dans le contexte de la pandémie et de la relance.
Le groupe était composé de 18 femmes exceptionnelles et, si j’ai bien compris, elles doivent considérer les discussions, les recommandations et les rapports comme étant confidentiels. Le groupe de travail avait un mandat de 12 mois qui a dû se terminer à la fin de 2021.
Sénateur Gold, je ne doute absolument pas que le groupe de travail a accompli un travail exceptionnel et qu’il a donné au gouvernement des conseils judicieux. Je crois que les Canadiens, particulièrement ceux qui évoluent dans le monde des affaires, pourraient également bénéficier des recommandations de ce groupe. Pouvez-vous confirmer que le groupe de travail a bel et bien mené et conclu ses travaux et qu’il a présenté un rapport?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Monsieur le sénateur, je vous remercie de la question et d’avoir fait mention de cet important travail. Comme je ne sais pas avec exactitude ce qu’il en est, je devrai me renseigner. Je vous fournirai une réponse dès que possible.
Le sénateur Loffreda : Je vous remercie de votre réponse. J’attends cette réponse avec impatience.
(1440)
En plus de fournir à la ministre des conseils pour aider les femmes à réintégrer pleinement leur emploi et à améliorer leur participation au marché du travail pendant la pandémie, le groupe de travail était également chargé d’examiner des questions plus vastes et à long terme liées à l’égalité des genres et au bien-être des femmes, notamment l’écart salarial entre les hommes et les femmes et la sous-représentation des femmes dans les postes de direction.
Pouvez-vous nous expliquer comment les conseils du groupe de travail ont contribué à définir et à influencer certains des choix politiques qui ont été faits par le gouvernement au cours des deux dernières années et qui ont eu des répercussions sur les femmes et l’économie?
Je crois comprendre, d’après votre première réponse, que vous n’avez pas le rapport, mais vous pourriez peut-être inclure ces réponses lorsque vous fournirez une réponse écrite.
Le sénateur Gold : Je ne manquerai pas de le faire. Vous avez tout à fait raison, je ne peux pas vous dire exactement comment le rapport du groupe de travail a pu influencer les choses. L’atteinte de l’égalité des genres et la lutte contre l’inégalité entre les hommes et les femmes sont des processus continus. Ils n’ont pas commencé avec le groupe de travail et ils ne se termineront pas avec le rapport.
Le gouvernement a pris un certain nombre de mesures qui présentent des avantages concrets et importants pour les femmes de tout le pays. Un système national d’éducation préscolaire et de garderies aura une énorme incidence sur la capacité des femmes à participer au marché du travail. Le taux de participation au marché du travail des femmes canadiennes dans leurs années les plus productives n’a jamais été aussi élevé, à 85,6 %.
Comme je viens de le dire, le taux de participation s’est également amélioré depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement. Il a augmenté d’environ 3 % depuis lors. Je vais me renseigner, monsieur le sénateur, et vous revenir avec une réponse.
[Français]
La santé
La discrimination fondée sur l’orientation sexuelle
L’honorable René Cormier : Sénateur Gold, la directive de Santé Canada sur les dons de spermatozoïdes qui rend inadmissibles les dons des hommes qui ont eu des relations sexuelles avec d’autres hommes dans les trois mois précédents est extrêmement troublante. Sachant que les dons de sperme font l’objet de rigoureux tests avant de pouvoir être utilisés, cette directive est discriminatoire et perpétue la stigmatisation des hommes atteints du VIH-sida. Un recours en justice a d’ailleurs été déposé devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario afin de modifier cette directive.
Sénateur Gold, pourquoi Santé Canada ne rend-elle pas sa directive concernant le don de sang plus inclusive et non discriminatoire envers les hommes gais et bisexuels, comme l’ont d’ailleurs récemment fait la Société canadienne du sang et Héma‑Québec?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour la question, cher collègue.
Le gouvernement s’engage à veiller à ce que le Règlement sur la sécurité des spermatozoïdes et des ovules continue de s’appuyer sur les données scientifiques et techniques les plus récentes dans le domaine de la procréation assistée. Compte tenu des changements apportés récemment aux critères de sélection des donneurs de sang, que vous avez mentionnés, de la Société canadienne du sang et d’Héma-Québec, le gouvernement examine si des modifications semblables pourraient être appropriées dans le contexte des dons de spermatozoïdes et d’ovules.
Le gouvernement est déterminé à appuyer des politiques sécuritaires non discriminatoires fondées sur les données scientifiques. Santé Canada sait qu’une demande a été déposée à la Cour supérieure de justice de l’Ontario et l’examine actuellement. Pour l’instant, nous ne pouvons pas en dire plus.
Le sénateur Cormier : Merci pour votre réponse. Nous attendrons l’évolution des démarches du gouvernement.
Un récent rapport sur l’accessibilité à la justice pour les personnes trans est sans équivoque quant au fait que le système de justice n’offre pas de solutions adéquates aux problèmes juridiques des personnes trans. Information troublante : ce rapport mentionne que beaucoup de personnes trans évitent carrément de faire appel au système de justice, car elles y vivent de la discrimination et parfois, s’y sentent en danger.
Sénateur Gold, dans les limites de son champ de compétences en la matière, comment le gouvernement fédéral répondra-t-il à ce rapport afin de rendre le système de justice plus accessible et plus adapté à la réalité des personnes trans?
Le sénateur Gold : Merci pour la question.
Il faut aussi mentionner la limite du champ de compétences fédéral. Cela étant dit, je vais faire une recherche auprès du gouvernement pour savoir quel est le progrès ou le statut de ce rapport relativement aux discussions régulières entre le ministre de la Justice et son équipe, et ses homologues provinciaux et territoriaux.
[Traduction]
Les transferts en matière de santé
L’honorable Larry W. Smith : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat, le Senator Gold.
Lors de la réunion des premiers ministres qui a eu lieu le mois dernier, le gouvernement fédéral a annoncé des transferts supplémentaires aux provinces et aux territoires en matière de santé. Le financement des soins de santé demeure un problème majeur pour les provinces, et la pénurie de médecins qualifiés se fait de plus en plus préoccupante. On estime à 13 000 le nombre de médecins, pour la plupart formés à l’étranger, qui ne sont pas en mesure d’exercer au Canada à l’heure actuelle en raison des politiques administratives discriminatoires en vigueur dans l’ensemble du pays.
Le premier ministre a fait plusieurs promesses — notamment en 2019, en 2021 et, plus récemment, en 2023 —, afin d’aider les provinces et les territoires à embaucher des milliers de médecins et de professionnels de la santé.
Sénateur Gold, le gouvernement fédéral a-t-il tenu sa promesse d’aider les provinces à embaucher des médecins et du personnel de santé supplémentaires? Pouvez-vous nous indiquer de manière précise les mesures qu’a prises le gouvernement en dehors des promesses de fonds?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie, sénateur Smith, de votre question. L’octroi des licences de médecine est la responsabilité exclusive des provinces et des territoires. Il y a un problème, parce que les provinces et les territoires tardent à assouplir leurs règles concernant la reconnaissance des compétences des diplômes obtenus à l’étranger.
D’ailleurs, le problème ne se limite pas aux médecins qui arrivent de l’étranger; il y a aussi des problèmes de reconnaissance d’une province à l’autre. Des initiatives intéressantes et louables ont été mises en place dans la région de l’Atlantique, mais il reste du travail à faire.
Vous avez mentionné qu’il fallait faire plus qu’envoyer des fonds aux provinces, mais il ne faudrait pas passer sous silence le fait que l’injection massive de fonds du fédéral dans le système des provinces et la bonification des montants versés — près de 200 milliards de dollars sur 10 ans pour l’amélioration des soins de santé — seront fort utiles aux provinces pour l’ajout de médecins et la rémunération de ces derniers — et d’autres professionnels de la santé également, il faut le mentionner.
Le ministre de la Santé collabore régulièrement avec ses homologues de l’ensemble du pays. Je m’informerai au sujet des avancées réalisées en matière d’octroi de licences et je vous reviendrai avec des réponses. La capacité du gouvernement, et du Parlement, de légiférer en la matière est fort limitée par la Constitution.
Le sénateur Smith : Les nouveaux objectifs du gouvernement en matière d’immigration exacerberont la demande à laquelle doit répondre le système de santé. Ces nouveaux immigrants auront besoin d’accéder à des hôpitaux, à des médecins de famille et à d’autres services liés à la santé. Les immigrants apportent également un riche savoir et une grande expertise à tous les secteurs de notre économie, y compris la santé.
Le gouvernement fédéral collabore-t-il avec les provinces, les territoires et les programmes de reconnaissance des titres de compétence étrangers? Êtes-vous en mesure de nous fournir des détails concernant les progrès effectués à ce chapitre?
Le sénateur Gold : Malheureusement, je n’ai pas de détails à vous communiquer. Par contre, je suis heureux, et je crois que nous devrions tous être heureux, que le gouvernement fédéral ait conclu un accord avec neuf provinces, les discussions se poursuivant auprès de la province restante de même qu’auprès des territoires.
Comme vous le savez, ces discussions et la structure de ces accords comprennent des accords de financement bilatéraux qui seront adaptés aux besoins et aux demandes de chaque province et territoire. Je suis convaincu que les discussions déjà tenues et qui se poursuivent concernant la structure et la conception de ces accords bilatéraux tiendront compte des questions que vous soulevez. Quoi qu’il en soit, je vais me renseigner et vous reviendrai avec la réponse.
L’agriculture et l’agroalimentaire
L’exportation de chevaux vivants
L’honorable Pierre J. Dalphond : Ma question s’adresse au sénateur Gold, le représentant du gouvernement au Sénat.
Lors des dernières élections, le Parti libéral a promis aux Canadiens d’interdire l’exportation de chevaux vivants à des fins d’abattage, mais les chevaux continuent de souffrir. Le 1er mars 2023, le Globe and Mail a rapporté que l’on continue à exporter des chevaux de trait vers le Japon par avion-cargo, jusqu’à quatre par caisse, sans nourriture ni eau pendant 25 à 30 heures.
Sénateur Gold, quand le gouvernement va-t-il tenir sa promesse d’interdire ce type d’exportations vers le Japon?
(1450)
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie. Ce que vous décrivez est pour le moins troublant. En effet, l’interdiction d’exporter des chevaux vivants fait partie de la lettre de mandat de la ministre Bibeau.
J’ai été informé que le gouvernement est en discussion avec les principales parties prenantes et qu’il évalue différentes approches afin de déterminer le meilleur plan d’action. En l’absence d’une interdiction d’exporter des chevaux vivants pour l’abattage, l’Agence canadienne d’inspection des aliments continue d’appliquer les réglementations pertinentes afin de s’assurer que les chevaux sont aptes à voyager et, surtout, qu’ils sont transportés dans de bonnes conditions.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Je comprends que le gouvernement étudie la question, mais je rappelle que le gouvernement américain a interdit cette pratique il y a 17 ans. Au Canada, au cours des cinq dernières années, 14 500 chevaux ont été expédiés au Japon pour devenir des sushis frais pour des gens fortunés. Ne croyez-vous pas que le temps est venu de mettre un point final à cette pratique plutôt que de trouver des moyens humanitaires de les envoyer à l’abattoir au Japon?
Le sénateur Gold : C’est l’objectif du gouvernement et cela était inscrit dans la lettre de mandat. Je vais faire des recherches afin de connaître les progrès en cours. Je reviendrai au Sénat avec une réponse.
[Traduction]
Le patrimoine canadien
Sport Canada
L’honorable Marilou McPhedran : Ma question s’adresse au sénateur Gold. Au lendemain de la Journée internationale des femmes, je tiens à saluer le courage et la persévérance des milliers de femmes et de filles qui jouaient au soccer et à d’autres sports en Afghanistan jusqu’à ce que les talibans reprennent le pouvoir en août 2021 et qui sont maintenant en situation de risque extrême simplement parce qu’elles sont des athlètes féminines.
Au Canada, le soccer féminin gagne en popularité depuis des années, avec un record de 85 000 filles qui jouent dans des ligues organisées, des fédérations de soccer et des club-écoles. Toutefois, on s’attend maintenant à une baisse des inscriptions directement liée aux différends persistants à propos de l’équité et au traitement honteux qui est réservé à l’équipe nationale féminine, comme si ces joueuses ayant remporté l’or aux Jeux olympiques étaient des athlètes de deuxième classe.
Hier, le Toronto Star a rapporté que de jeunes athlètes prometteuses sont désillusionnées devant ce qu’elles voient. Malgré la conclusion d’une entente de financement provisoire la semaine dernière, laquelle n’a été obtenue qu’une fois que l’équipe s’est dite prête à faire la grève et à intenter des poursuites, les joueuses affirment que la lutte pour un financement permanent et l’atteinte de l’égalité est loin d’être terminée.
Sénateur Gold, Sport Canada finance plus de 58 fédérations sportives nationales, qui incluent le ski alpin, le curling, le hockey, le soccer et la lutte. Il finance également 31 organismes nationaux de services multisports et programmes d’appui aux sports associés.
Pouvez-vous dire au Sénat si des mesures sont prises pour déterminer si les inégalités et les injustices subies par ces joueuses de soccer de classe mondiale ne sont pas également systémiques dans l’ensemble des sports dépendant de fonds publics fédéraux?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de soulever cette question et de souligner cette situation malheureuse dont nous sommes tous conscients : l’écart dans le financement et le soutien offerts — dans le passé et, assurément, encore aujourd’hui — dans de trop nombreuses disciplines sportives entre les hommes et les femmes. C’est aussi le cas dans le dossier de l’équité salariale.
Je ne connais pas la réponse précise à votre question, sénatrice McPhedran. Je vais me renseigner et tenter de vous revenir avec une réponse dès que possible.
La sénatrice McPhedran : En plus de vous renseigner là-dessus, sénateur Gold, je me demande si vous pourriez aussi déterminer dans quelle mesure le gouvernement du Canada permet que des ententes de non-divulgation soient utilisées contre des athlètes lors de conflits ou de résolution de conflits.
Le sénateur Gold : Je me renseignerai assurément aussi à ce sujet.
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup.
[Français]
Les affaires étrangères
Les relations sino-canadiennes
L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Sénateur Gold, je vous ai questionné hier sur l’influence de plus en plus grandissante du gouvernement chinois au Canada. Vous m’avez répondu quelque chose qui me satisfait plus ou moins. Vous avez dit, et je vous cite :
On apprend et on change face aux faits et à ce que nous vivons maintenant au Canada […] c’est pourquoi le gouvernement canadien prend des mesures importantes pour nous protéger et réévaluer plusieurs aspects de notre relation avec la Chine.
Ce matin, on a appris que la GRC enquêtait sur trois postes de police chinois à Longueuil et à Montréal. On en a déjà cinq à Toronto, on doit en avoir également à Vancouver, puisqu’il y a une grande présence de la communauté chinoise dans cette ville.
L’inaction du premier ministre date de 2018, lorsqu’il a voulu faire intervenir des forces armées chinoises en sol canadien et que l’armée canadienne s’y est opposée. N’est-on pas devant un premier ministre qui manque de jugement politique?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Pas du tout, cher collègue. C’est très préoccupant, ce que nous apprenons concernant ces postes de police à Brossard — qui n’est pas loin de chez moi —, à Montréal et ailleurs. J’espère que les enquêtes en cours porteront fruit.
J’insiste de nouveau : le gouvernement et le premier ministre prennent cela au sérieux. Il y a des mesures en place, y compris des enquêtes policières indépendantes, afin qu’on puisse combattre ces ingérences dans notre démocratie.
Le sénateur Boisvenu : L’influence du Parti communiste au Canada est un fait. D’ailleurs, la conseillère d’origine chinoise siégeant à Longueuil l’a confirmé. Il y a une influence du Parti communiste chinois au Canada, c’est évident.
Si le premier ministre n’est ni naïf ni complice et s’il ne fait pas preuve de manque de jugement politique, pourquoi s’oppose-t-il à une enquête indépendante à l’autre endroit? Pourquoi ne laisse-t-il pas sa cheffe de cabinet témoigner? Pourquoi ce processus n’est-il pas fait en collaboration avec les trois autres partis politiques, notamment la nomination d’un rapporteur?
Le sénateur Gold : Merci pour la question. Le fait que le représentant chinois vante l’influence de son pays, permettez-moi de paraphraser une citation de l’éminente journaliste Chantal Hébert : cela fait partie de leur travail que de vanter leur influence.
Cela dit, on prend cela au sérieux. Je ne vais pas gaspiller le temps qu’il reste à la période des questions pour répéter encore une fois en quoi, selon le gouvernement, les processus mis en place sont plus appropriés pour arriver aux réponses dont nous avons besoin.
[Traduction]
Dépôt de réponses à des questions inscrites au Feuilleton
La défense nationale—Les infrastructures
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) dépose la réponse à la question no 37, en date du 23 novembre 2021, inscrite au Feuilleton et Feuilleton des préavis au nom de l’honorable sénateur Plett, concernant les infrastructures du ministère de la Défense nationale.
La défense nationale—La Journée de la reconnaissance des familles des militaires
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) dépose la réponse à la question no 142, en date du 30 mars 2022, inscrite au Feuilleton et Feuilleton des préavis au nom de l’honorable sénateur Housakos, concernant la Journée de la reconnaissance des familles de militaires.
Réponses différées à des questions orales
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer les réponses aux questions orales suivantes :
Réponse à la question orale posée au Sénat le 26 avril 2022 par l’honorable sénatrice Petitclerc, concernant la Prestation canadienne pour les personnes en situation de handicap.
Réponse à la question orale posée au Sénat le 15 décembre 2022 par l’honorable sénatrice Cordy, concernant la Commission des pêcheries des Grands Lacs.
L’emploi et le développement social
La prestation canadienne pour les personnes en situation de handicap
(Réponse à la question posée le 26 avril 2022 par l’honorable Chantal Petitclerc)
Le 2 juin 2022, la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes handicapées (EDMIPH) a déposé le projet de loi C-22, Loi sur la prestation canadienne d’invalidité, pour établir une nouvelle prestation canadienne d’invalidité. Après avoir été étudié et amendé par le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées, le projet de loi a reçu le soutien de tous les partis à l’étape de la troisième lecture le 2 février 2023 avant d’être renvoyé au Sénat, où il sera débattu et étudié.
Dans l’esprit de Rien sans nous, le gouvernement continuera de dialoguer avec les Canadiens handicapés et d’autres intervenants pour éclairer la conception des prestations et les futurs règlements. Les activités de mobilisation ont commencé à l’été 2021 avec des tables rondes ministérielles et un sondage public en ligne. Des consultations ont également eu lieu tout au long de 2022, et l’engagement dirigé par la communauté, ainsi que l’engagement dirigé par les Autochtones par l’intermédiaire d’organisations autochtones nationales, se poursuit jusqu’à l’hiver et au printemps 2023.
La loi reconnaît également le rôle essentiel que jouent les provinces et les territoires dans la prestation de soutien et de services aux Canadiens handicapés et l’importance de s’engager avec eux. Les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables des services sociaux se sont rencontrés en juillet 2021 pour une première discussion sur la nouvelle prestation proposée et des discussions avec les gouvernements provinciaux et territoriaux se poursuivent depuis, y compris des réunions bilatérales entre la ministre de l’EDMIPH et ses homologues provinciaux/territoriaux.
Les pêches et les océans
La Commission des pêcheries des Grands Lacs
(Réponse à la question posée le 15 décembre 2022 par l’honorable Jane Cordy)
Le gouvernement est engagé à préserver les ressources en eau douce et à protéger les Grands Lacs contre les espèces envahissantes, étant donné leur importance culturelle, sociale et économique tant pour le Canada que pour les États-Unis.
La Commission des pêcheries des Grands Lacs (CPGL) est essentielle pour contrôler la lamproie marine, mener des recherches et maintenir la coopération et la coordination entre les organismes canadiens et américains pour la gestion des pêches dans les Grands Lacs.
Dans le cadre du budget de 2022, le gouvernement du Canada a annoncé l’octroi d’un nouveau financement de 44,9 millions de dollars à Pêches et Océans Canada pour s’assurer que la CPGL continue de veiller avec succès à la santé des Grands Lacs. Ce financement accru, qui porte à 19,6 millions de dollars le soutien annuel du Canada aux travaux de la commission, témoigne de notre engagement à améliorer les pêches dans les Grands Lacs, à assurer la poursuite des activités canadiennes de lutte contre la lamproie marine et à soutenir la CPGL dans le cadre de son programme de recherche et de sa coordination de la gestion binationale des pêches dans les Grands Lacs.
Le paiement pour l’exercice financier en cours a été effectué, et les fonctionnaires du ministère et le personnel de la CPGL travaillent en étroite collaboration pour planifier les activités futures.
ORDRE DU JOUR
Les travaux du Sénat
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’article 4-13(3) du Règlement, j’informe le Sénat que, lorsque nous passerons aux affaires du gouvernement, le Sénat abordera les travaux dans l’ordre suivant : la troisième lecture du projet de loi C-39, suivie de la deuxième lecture du projet de loi C-22, suivie de tous les autres articles dans l’ordre où ils figurent au Feuilleton.
(1500)
Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Troisième lecture
L’honorable Stan Kutcher propose que le projet de loi C-39, Loi modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-39, qui prolonge d’un an la date de mise en œuvre de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Une fois de plus, j’aimerais reconnaître que nos débats qui abordent des questions délicates comme le suicide peuvent être pénibles pour certains et que le fait de demander de l’aide quand on en a besoin constitue un signe de force.
À l’étape de la deuxième lecture, j’ai parlé de la portée et de l’objectif du projet de loi et des raisons pour lesquelles la prolongation est nécessaire. Aujourd’hui, je rappellerai ces raisons et je m’attarderai également sur certains renseignements erronés qui ont entaché la compréhension du public à l’égard des questions complexes entourant le choix de la fin de vie et qui se sont malheureusement glissés dans le discours des professionnels de la santé et des parlementaires au sujet de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué.
Le report d’un an permettra aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de travailler en collaboration avec les organismes de réglementation et les fournisseurs de soin afin de permettre aux systèmes de santé de se préparer. Selon moi, le travail de préparation doit répondre aux quatre critères. Premièrement, il faut s’assurer que la norme de pratique exemplaire est au point et a été publiée et distribuée aux organismes de réglementation de chaque province et territoire. Deuxièmement, il fait s’assurer que le programme de formation accrédité en matière d’aide médicale à mourir a été créé et est offert aux prestataires de l’aide médicale à mourir. Troisièmement, il faut s’assurer que les exigences de déclaration mises à jour ont été entièrement mises en œuvre et que le gouvernement a commencé à recueillir les données qui seront essentielles à notre évaluation continuelle du régime d’aide médicale à mourir au Canada. Quatrièmement, il faut s’assurer que le gouvernement a eu suffisamment de temps pour étudier le rapport du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir.
Honorables sénateurs, nous devons relever l’un des plus importants défis législatifs auxquels les Canadiens doivent faire face. Comme la sénatrice Martin l’a dit lors de son discours à l’étape de la deuxième lecture, il s’agit de « l’une des questions les plus complexes et les plus personnelles ». Cet enjeu s’inscrira dans notre histoire comme un tournant dans notre façon de concevoir les droits individuels et l’autonomie des personnes qui vivent avec un trouble mental. C’est un enjeu d’une profondeur, d’une complexité et d’une nature semblables à celles de deux autres enjeux liés à la santé sur lesquels nous avons dû nous pencher précédemment, soit la contraception et les droits génésiques des femmes. Cette évolution de notre mentalité témoigne d’une progression vers une société plus compatissante dans laquelle nous accordons du respect et de l’importance aux autres, peu importe qui nous sommes, qui nous aimons ou comment nous choisissons de mourir.
Cette évolution reflète aussi comment le Canada remplace la prestation de services de santé axés sur l’autocratie paternaliste traditionnelle d’autrefois par des soins axés sur le patient. Nous nous attendons désormais à ce que les fournisseurs de soins de santé collaborent avec les patients pour mettre en place les conditions bienveillantes qui permettront aux personnes compétentes de prendre des décisions libres et éclairées concernant leur corps et leur vie, même lorsqu’elles envisagent la mort.
Les questions complexes dont nous traitons dans le contexte de l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental nécessitent une réflexion mûre et critique, un débat respectueux, une compréhension approfondie des nuances en jeu et la volonté de faire passer les intérêts de ceux qui souffrent de façon intolérable avant l’idéologie intransigeante ou l’opportunisme politique. L’examen de ces questions complexes exige également que nous évitions de créer ou de répandre de la mésinformation, et de la dénoncer lorsque nous y sommes confrontés. Nous pouvons être respectueusement en désaccord les uns avec les autres. Au bout du compte, cela fait partie intégrante du discours démocratique. Cela dit, ce n’est pas la même chose que de mal se renseigner ou de mal renseigner les autres.
Depuis l’entrée en vigueur du projet de loi C-7, mon bureau et moi suivons les discussions dans les médias grand public et les médias sociaux au sujet de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Nous avons également examiné attentivement tous les débats sur le projet de loi C-39 qui ont eu lieu récemment à l’autre endroit. Personnellement, j’ai eu le privilège de siéger au Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, en compagnie d’autres sénateurs, d’avoir entendu les nombreuses heures de témoignage et d’avoir lu les nombreux mémoires.
Grâce à cette recherche et au fait que j’ai approfondi ma connaissance des complexités et des nuances qui entourent l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, j’ai relevé trois domaines où la mésinformation a marqué le débat public et parlementaire au cours de la dernière année. Je vais vous en faire part, étant donné que l’adoption du projet de loi C-39 ne mettra probablement pas fin à la discussion. À l’avenir, savoir quels sont les types les plus courants de mésinformation peut nous aider dans nos recherches, nos discussions, nos délibérations et nos débats, peu importe notre point de vue. Les voici : l’aide médicale à mourir remplace l’accès aux soins de santé mentale; l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué est une pente glissante; et l’aide médicale à mourir est un autre nom pour désigner le suicide. Je parlerai de chacun de ces points et j’examinerai leur origine.
Mais auparavant, il faut bien comprendre la manière dont la mésinformation survient. Elle est parfois diffusée délibérément, par des joueurs qui désapprouvent la façon dont la société évolue et qui réagissent en produisant et en transmettant de fausses informations. La mésinformation se produit parfois par inadvertance, lorsque des gens de bonne foi se laissent émouvoir et acceptent ce qu’on leur présente sans comprendre la question en profondeur, sans y réfléchir rigoureusement et sans analyser de manière objective les informations qu’ils communiquent.
Dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, j’ai discuté de fausses affirmations selon lesquelles l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué pourrait remplacer les soins de santé mentale et être accessible aux personnes traversant une crise aiguë. Soyons très clairs. Les personnes suicidaires ou qui vivent une crise aiguë liée à la santé mentale ne seront pas admissibles à l’aide médicale à mourir et ne la recevront pas.
Les personnes qui demanderont l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental et dont la demande sera approuvée auront déjà reçu différents types de soins de santé mentale pendant une période prolongée. Elles pourront aussi annuler leur consentement en tout temps pendant la période minimale de 90 jours. Ces gens vivent des souffrances intolérables non pas parce qu’il leur est impossible d’obtenir des soins de santé mentale, mais parce qu’aucune des nombreuses tentatives en vue de les soulager menées sur une longue période n’a réussi à alléger suffisamment les souffrances intolérables en question. Pour les maladies mentales comme pour d’autres types de maladies, les traitements dont nous disposons ne parviennent malheureusement pas à soulager tous les gens qui souffrent énormément. Il y a très peu de gens dans cette situation, heureusement, mais il n’en demeure pas moins que ceux-ci continuent de subir des souffrances intolérables.
C’est pourquoi, pour les personnes aux prises avec des souffrances intolérables, les décisions concernant l’admissibilité à l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental doivent être prises au cas par cas. Comme je l’ai indiqué mardi, il n’y a pas de recette pour déterminer si les souffrances d’une personne sont irrémédiables et intolérables. Il y a évidemment des facteurs cliniques fondamentaux à considérer, qui figurent dans le rapport du groupe d’experts et les normes de pratique. Les psychiatres sont aussi arrivés à un consensus à ce sujet, grâce à un processus Delphi en deux étapes. Les organismes de réglementation traiteront davantage de ces points dans leurs normes de pratique pour l’aide médicale à mourir, comme ils le font pour tous les soins médicaux.
Il est essentiel de comprendre que les interventions cliniques pour les conditions médicales complexes sont toujours déterminées au cas par cas, qu’elles reposent sur des données médicales probantes et qu’elles constituent des soins axés sur le patient. Les décisions relatives à la façon de procéder et au moment opportun de le faire sont le fruit d’une entente convenue entre le patient qui souffre et les personnes qui font tout leur possible pour alléger sa souffrance. C’est le principe sur lequel reposent les soins médicaux de notre ère moderne. La maxime « guérir parfois, soulager souvent, consoler toujours » résume avec justesse la collaboration patient-soignant.
Une autre forme de mésinformation à propos de l’accès à l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental est que cela nous amènera sur une pente glissante. C’est un exemple classique de faux raisonnement. Il y a trois types de faux raisonnement ayant pour thème la pente glissante. Quand on parle de l’accès à l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental, celui de la « pente fatale » est le plus fréquent. On peut le définir comme suit :
La pente fatale [...] consiste à prétendre qu’une action initiale relativement mineure engendrera un phénomène relativement majeur.
Même si le résultat de cette fameuse pente glissante n’est pas clairement précisé, on déduit que si l’aide médicale à mourir est offerte à des personnes dont la seule condition médicale invoquée est une maladie mentale, nous nous retrouverons en très peu de temps avec un très grand nombre de demandes d’aide médicale à mourir faites par des personnes ayant une maladie mentale ou encore que des situations horribles et répréhensibles surviendront. Une des caractéristiques de ce type d’argument fallacieux de mésinformation est de ne fournir aucune preuve que ses prédictions se réaliseront vraiment. En outre, ces arguments confondent souvent l’adoption attendue et habituelle d’une nouvelle intervention avec la preuve de l’existence d’une pente glissante et ils substituent l’angoisse émotionnelle et la peur à l’examen rationnel.
(1510)
Voici ce qu’en dit une étude d’experts qui se sont penchés sur le sophisme de la pente glissante :
En général, les pentes glissantes sont principalement associées à des événements négatifs et, à ce titre, les arguments relatifs aux pentes glissantes sont fréquemment utilisés dans des campagnes de peur. Dans ce contexte, les arguments de la pente glissante évoquent souvent une cascade de conséquences de plus en plus graves qui se produiront à la suite de l’événement initial en question.
Malheureusement, le sophisme de la pente glissante a été perpétué dans les médias, dans des discours au Parlement et dans des témoignages présentés au comité mixte sur l’aide médicale à mourir.
La pente glissante est un faux raisonnement qui « [...] fait fi ou sous-estime l’incertitude associée au passage du point de départ de la pente à son point d’arrivée ».
Par conséquent, l’auteur de l’argument n’a aucune idée de ce qui se passera réellement. Il est toutefois convaincu que ce dont il a peur se produira à coup sûr, et c’est sur cette base qu’il défend cet argument.
La mésinformation répandue au moyen de cette pente glissante fallacieuse peut être grave et avoir des effets préjudiciables sur la santé et le bien-être de personnes et de groupes. Il faut la contrer en dénonçant le raisonnement erroné sur lequel elle est fondée et en fournissant des données qui réfutent les craintes que cette argumentation vise à alimenter.
Décortiquons cette pente glissante fallacieuse concernant l’aide médicale à mourir au Canada lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. On peut examiner les données provenant d’autres pays afin de déterminer la véracité de ces arguments. On peut examiner les endroits où on permet l’accès à l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental afin de déterminer si on administre l’aide médicale à mourir à une proportion de plus en plus grande et importante de la population avec comme seule justification le trouble mental.
Examinons les données provenant des Pays-Bas et de la Belgique. Dans ces pays, on a permis l’accès à l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental il y a plus de 10 ans. On peut examiner le pourcentage de personnes qui ont eu accès à l’aide médicale à mourir pour cause de troubles mentaux ou du comportement par rapport à tous ceux qui ont obtenu l’aide médicale à mourir une fois que cette pratique a été bien établie.
Voici ce que les données démontrent. En Belgique, au cours des cinq dernières années — période pour laquelle la Bibliothèque du Parlement a pu me fournir des données —, voici quel a été le pourcentage de personnes ayant eu accès à l’aide médicale lorsqu’un trouble mental était le seul problème médical invoqué : en 2017, 1,7 %; en 2018, 1,4 %; en 2019, 0,8 %; en 2020, 0,9 %; et en 2021, 0,9 %.
Mettons ces chiffres dans une perspective différente. En 2021, la Belgique comptait 11,59 millions d’habitants. Le nombre total de personnes qui ont reçu l’aide médicale à mourir alors qu’un trouble mental était le seul problème médical invoqué a été de 24, soit 0,00020 % de la population. Il est clair qu’il n’y a pas de pente glissante en Belgique.
Aux Pays-Bas, les chiffres sont les suivants : 2017, 1,2 %; 2018, 1,0 %; 2019, 1,0 %; 2020, 1,2 %; 2021, 1,5 %. Encore une fois, je vais mettre ces chiffres en perspective. En 2021, la population des Pays-Bas était de 17,53 millions d’habitants. Le nombre total de personnes qui ont reçu l’aide médicale à mourir alors qu’un trouble mental était le seul problème médical invoqué a été de 115, soit 0,00065 % de la population. Il n’y a donc pas de pente glissante aux Pays-Bas non plus.
Ces données concordent avec la récente étude de Jordan Potter, publiée dans Medicine, Health Care and Philosophy en 2018, intitulée « The psychological slippery slope from physician-assisted death to active euthanasia: a paragon of fallacious reasoning ». Le professeur Potter conclut que :
[...] 1) l’utilisation de l’argument de la pente glissante psychologique contre l’aide médicale à mourir est logiquement fallacieuse; 2) ce type de pente glissante n’est pas fondé en pratique; et donc 3) l’argument de la pente glissante psychologique est insuffisant à lui seul pour justifier le maintien de l’interdiction légale de l’aide médicale à mourir.
Chers collègues, en tant que praticiens du second examen objectif, il nous incombe de dénoncer cette désinformation basée sur l’argument fallacieux de la pente glissante lorsque nous la rencontrons. En effet, nous pourrions désigner l’expression « pente glissante » comme un signal nous avertissant que ce qui suit pourrait être un argument fallacieux.
Un troisième domaine de désinformation en forte croissante à l’égard de l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental concerne la question du suicide. Ici, l’erreur de raisonnement appelée « piège de l’appellation » — oui, il existe une erreur de raisonnement de ce nom — a été largement utilisée pour brouiller les cartes et remettre en question le but premier de l’aide médicale à mourir : un choix de fin de vie fait par une personne compétente qui souffre de façon intolérable et qui satisfait à tous les critères prévus par la loi.
Il y a un piège de l’appellation lorsqu’on suppose à tort que deux choses sont identiques parce qu’elles portent le même nom — Logique 101, je m’en souviens. Dans le cas de l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental, les commentateurs qui utilisent ce genre de sophisme affirment que l’aide médicale à mourir est un suicide, soit parce que cette pratique médicale a déjà été appelée « suicide assisté par un médecin », soit parce qu’ils cherchent à susciter, pour leurs propres raisons, une réponse émotionnelle pour semer la peur chez les autres.
On trouve un exemple très récent de cette erreur de raisonnement dans un article sur l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental, où figure la citation suivante :
[...] lorsque vous adoptez une loi qui permet à quelqu’un de mettre fin prématurément à sa vie avec l’aide d’un médecin, il s’agit alors d’un suicide assisté par un médecin. Par définition, c’est un suicide.
Dans ce cas, la confusion en matière de nomenclature peut avoir contribué à la facilité avec laquelle ce type de désinformation s’est répandu. C’est dans son rapport de 2016 que le comité mixte de la Chambre et du Sénat a passé en revue les nombreuses expressions utilisées pour décrire cette intervention de fin de vie et s’est arrêté sur l’expression « aide médicale à mourir », peut-être pour éviter cette confusion.
À titre de rappel, le rapport de 2016 du comité mixte s’intitulait L’aide médicale à mourir : une approche centrée sur le patient. Ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de le lire devraient peut‑être le faire. Ceux qui l’ont lu se souviendront de la troisième recommandation :
Que l’on ne juge pas inadmissibles à l’aide médicale à mourir les personnes atteintes d’une maladie psychiatrique en raison de la nature de leur maladie.
Le comité s’était également penché sur la définition de « graves et irrémédiables » à adopter et était arrivé à une définition similaire à celle recommandée par le groupe d’experts en 2022.
Si on écoute attentivement la mésinformation concernant le suicide, on constate qu’aucun argument n’est présenté pour faire la démonstration que l’aide médicale à mourir et le suicide sont la même chose. Tout ce qu’on nous dit, c’est qu’ils sont pareils et c’est tout. Alors, plutôt que d’accepter sans broncher le caractère véridique de cette affirmation, comparons la mort par suicide à la mort au moyen de l’aide médicale à mourir. Si cette dernière est la même chose qu’un suicide, les deux événements devraient avoir beaucoup de choses en commun.
Le suicide est souvent commis de façon impulsive. L’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué exige un délai minimal de 90 jours et n’est pas obtenue de façon impulsive. Le suicide est souvent un acte violent, qui cause des expériences traumatisantes pour les proches et pour les premiers répondants appelés sur les lieux où se trouve la dépouille. L’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué ne cause pas ce genre d’expérience traumatisante.
Le suicide est un acte qui est commis en secret et dans la solitude, souvent par des personnes qui se trouvent dans une situation désespérée. La personne cherche à éviter les membres de sa famille et ses amis, et non à s’en entourer. L’aide médicale à mourir n’est pas un acte commis en secret et dans la solitude, et celle-ci a généralement lieu en présence de la famille ou d’amis.
Le suicide entraîne souvent un deuil non surmonté et une détresse mentale durable pour les proches de la personne décédée. Les taux de dépression, d’hospitalisation en psychiatrie, de tentatives de suicide et de décès par suicide sont plus élevés chez les membres des familles endeuillées par un suicide. En revanche, les familles qui vivent l’aide médicale à mourir éprouvent un deuil et un sentiment de perte semblables à ceux qu’éprouvent les familles qui vivent une expérience de soins palliatifs, sans pour autant présenter les mêmes conséquences négatives que les familles qui ont perdu l’un de leurs membres en raison d’un suicide.
Chers collègues, libre à vous de décider des similitudes et des différences entre ces deux types de situations. À mon avis, il s’agit de deux situations clairement distinctes qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques.
Cependant, peut-être que le suicide et que l’aide médicale à mourir sont identiques à d’autres égards. Examinons cette possibilité. Si le suicide et l’aide médicale à mourir étaient deux phénomènes semblables, ils devraient présenter des caractéristiques démographiques identiques. Par ailleurs, si le suicide et l’aide médicale à mourir touchaient le même groupe démographique, la mise en place de l’aide médicale à mourir devrait entraîner une baisse du taux de suicide. Si, en revanche, comme certains l’affirment, la disponibilité de l’aide médicale à mourir entraînait une augmentation du taux de suicide dans la population, la mise en place de celle-ci devrait être suivie d’une augmentation du taux de suicide. Vérifions ce qu’il en est.
(1520)
Tout d’abord, l’affirmation selon laquelle l’aide médicale à mourir et le suicide touchent les mêmes populations est fausse. La répartition par âge des décès induits par l’aide médicale à mourir et des décès suite à un suicide est différente. La répartition par sexe est également différente.
Deuxièmement, l’affirmation selon laquelle l’aide médicale à mourir fait augmenter ou diminuer les taux de suicide au Canada est fausse. Les taux de suicide au Canada n’ont ni augmenté ni diminué de manière significative depuis l’introduction de l’aide médicale à mourir. Cette différence entre l’aide médicale à mourir et les données démographiques sur le suicide au Canada et l’absence de répercussions de l’aide médicale à mourir sur les taux de suicide au Canada suggèrent fortement que la population qui choisit l’aide médicale à mourir et la population qui décède des suites d’un suicide ne sont pas les mêmes populations. Ces données montrent que la thèse selon laquelle l’aide médicale à mourir et le suicide sont un seul et même phénomène n’est tout simplement pas fondée.
Qu’en est-il des autres pays dans lesquels l’aide médicale à mourir est disponible? La situation est-elle similaire ou différente de celle du Canada? Les données confirment la même conclusion : les populations sont différentes. Je citerai un extrait tiré d’une étude de ces données en Belgique et aux Pays-Bas réalisée par M. Tyler Black, qui a témoigné devant le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir :
Le texte qui suit est une comparaison entre les pays qui ont adopté une loi permettant aux personnes de mourir dans la dignité (la Belgique et les Pays-Bas) et les pays voisins qui ne l’ont pas fait. Les comparaisons entre pays posent plusieurs problèmes, mais il n’existe aucune preuve empirique permettant d’affirmer que les taux de suicide ont augmenté ou sont différents dans les pays ayant adopté une loi sur l’aide médicale à mourir par rapport à ceux qui ne l’ont pas fait.
Cette étude comportait un groupe de référence. Là encore, les résultats ne sont pas les mêmes.
Un autre aspect de cette mésinformation associant l’aide médicale à mourir au suicide est l’argument erroné selon lequel le suicide est uniquement associé à l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes d’un trouble mental, un argument facilement réfuté par un simple examen des faits. Par exemple, dans le même article récemment publié dans les médias, une personne se proclamant contre l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué a déclaré :
La forme traditionnelle de l’aide médicale à mourir, qui n’est accessible que lorsque la mort est raisonnablement prévisible, a permis à l’aide médicale à mourir de fonctionner dans un univers qui ne s’entrecroise pas avec le suicide.
Examinons cette affirmation. J’ai abordé cette question dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-7 et je cite mes propos :
[…] la présence d’une maladie grave et chronique constitue, en soi, un facteur de risque de suicide élevé. Ce risque accru n’est pas uniquement présent pour les personnes qui souffrent seulement d’une maladie mentale.
Par exemple, selon l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, les jeunes adultes qui souffrent d’une maladie chronique comme l’asthme et le diabète sont quatre fois plus susceptibles de faire une tentative de suicide. Les taux de suicide des personnes atteintes du cancer sont deux fois plus élevés que ceux de la population générale, alors que ceux des personnes atteintes de la maladie de Huntington sont huit à dix fois plus élevés.
Dans une étude sur le suicide et les douleurs chroniques, le Dr David Fishbain et ses collaborateurs ont constaté que le taux de suicide était de deux à trois fois plus élevé chez les patients souffrant de douleurs chroniques qu’au sein de la population en général. Dans une étude mondiale du suicide et des douleurs chroniques, Nicole Tang et Catherine Crane ont constaté que le risque de décès par suicide est au minimum deux fois plus élevé chez les personnes souffrant de douleurs chroniques.
On observe aussi des taux de suicide considérablement plus élevés chez les personnes atteintes d’autres maladies chroniques, telles que le cancer. En effet, selon une méta-analyse mondiale de 2022, publiée par Michael Heinrich et ses collègues dans la revue Nature Medicine, le taux de suicide chez les personnes atteintes du cancer est 85 % plus élevé que dans la population générale.
Honorables collègues, d’après les données de Santé Canada, le cancer était la condition médicale invoquée par plus de 65 % des personnes ayant obtenu l’aide médicale à mourir. Souvenez-vous que le taux de suicide chez les personnes atteintes du cancer est 85 % plus élevé que dans la population générale.
Il est faux de dire qu’il n’y a pas d’inquiétudes semblables à propos du suicide pour les maladies chroniques autres que les maladies mentales. C’est complètement faux. Alors, pourquoi véhicule-t-on ces faussetés? Peu importe la raison, en tant que Chambre de second examen objectif, nous devons nous fonder sur les données, et non faire des sermons moralisateurs ou exprimer nos opinions personnelles.
En terminant, je vais aborder une autre question qui, à mon avis, n’a pas été bien traitée dans le cadre de toutes ces discussions, à savoir la nécessité d’améliorer l’accès rapide à des soins de santé mentale pour tous ceux en ayant besoin. C’est une chose pour laquelle je me suis battu durant toute ma vie professionnelle, et pour laquelle je continue de me battre.
Lorsque j’ai obtenu mon diplôme de médecine dans les années 1970, le principal besoin en matière de soins de santé mentale était l’accès rapide à des soins efficaces pour tous ceux qui en avaient besoin. Lorsque j’ai terminé mon internat en psychiatrie dans les années 1980, le principal besoin en matière de soins de santé mentale était l’accès rapide à des soins efficaces pour tous ceux qui en avaient besoin. Lorsque j’ai été nommé au Sénat, le principal besoin en matière de soins de santé mentale était l’accès rapide à des soins efficaces pour tous ceux qui en avaient besoin. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, les dépenses liées aux soins de santé mentale devraient représenter environ 10 % du budget total des soins de santé. L’Association canadienne pour la santé mentale demande que ce chiffre soit d’environ 12 %.
Cette question ne relève pas uniquement du gouvernement fédéral. Les provinces et les territoires fixent les budgets alloués à l’ensemble des soins de santé, notamment à la santé mentale. D’après mes recherches, la proportion des budgets liés à la santé qui sont alloués aux soins de santé mentale se situe entre 5 % et 7 % dans la plupart des provinces et des territoires, ce qui est bien en deçà des montants requis.
On entend sans cesse dire que les soins de santé mentale figurent sur une liste de priorités. Eh bien, chers collègues, retirons les soins de santé mentale de la liste des priorités et plaçons-les sur la liste du financement équitable.
Il y a actuellement à l’échelle nationale un mouvement et des circonstances qui nous poussent à passer de la parole aux actes. Il y a maintenant une ministre fédérale de la Santé mentale et des Dépendances. On discute d’un fonds de transfert ciblé en santé mentale. Cela amènera peut-être le gouvernement fédéral à fournir plus de soutien pour accélérer l’accès à des soins de santé mentale de qualité pour tous ceux qui en ont besoin.
Cela donnera peut-être aux provinces et aux territoires la motivation nécessaire pour accroître leurs investissements dans les soins de santé mentale, et pour investir dans des mesures qui fonctionnent et non dans celles qui ne font que cocher une case sur leur liste.
Honorables sénateurs, nous devons continuer de faire pression sur tous les ordres de gouvernement pour qu’ils investissent équitablement dans des mesures qui accéléreront l’accès à des soins de santé mentale efficaces pour tous les Canadiens. Nous devons exercer cette pression non pas en raison de la possibilité d’offrir l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, mais parce que c’est ce qu’il faut faire, que l’aide médicale à mourir soit accessible ou non.
Alors que nous nous apprêtons à voter sur le projet de loi C-39, je vous remercie de m’avoir permis de vous faire part de mes préoccupations au sujet de la mésinformation entourant l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, et d’avoir continué de réclamer des améliorations pour les Canadiens atteints d’une maladie mentale. Ils ont le droit d’être traités avec compassion et de manière équitable tout au long de leur vie, y compris lorsque celle-ci tire à sa fin.
Honorables collègues, je vous remercie de votre attention et de prendre le temps de vous pencher attentivement sur les aspects complexes et nuancés du débat sur l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué.
Pour toutes les raisons dont nous avons discuté cette semaine, je pense que la bonne chose à faire est de reporter d’une année l’accessibilité de l’aide médicale à mourir lorsque la seule condition médicale invoquée est une maladie mentale.
Wela’lioq, merci.
L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, la plupart du temps, nous commençons nos interventions en disant que nous sommes heureux d’intervenir au sujet de tel ou tel projet de loi. Croyez-moi, ce n’est pas de gaieté de cœur que je prends la parole au sujet du projet de loi C-39.
J’éprouve un très grand respect pour le sénateur Kutcher et son opinion, mais je suis respectueusement en désaccord avec lui sur une bonne partie de ce qu’il a dit. Quand le débat sur l’aide médicale à mourir a été lancé en 2016, tous les week-ends je me rendais à Terre-Neuve-et-Labrador, au chevet de mon père. Il a passé les deux dernières années de sa vie alité, avant de rendre l’âme au mois de mai cette année-là. À l’époque, pour des raisons évidentes, j’avais beaucoup de préoccupations concernant l’aide médicale à mourir. C’est encore le cas aujourd’hui, du moins en partie.
Ce qui m’inquiétait en 2016 m’inquiète encore en 2023. Il s’agit, entre autres, du fait qu’on ouvre la porte de l’écurie. Je ne partage pas toutes les inquiétudes du sénateur Kutcher par rapport à la pente glissante, mais mes préoccupations vont dans le même sens.
Tout comme à l’époque, je me demande encore aujourd’hui où nous fixerons la limite une fois le processus amorcé. Quand saurons-nous qu’il est temps d’examiner la situation et de dire qu’il ne faut pas aller plus loin? Un comité parlementaire a étudié la question — je le félicite pour son excellent travail d’ailleurs. Je sais qu’en ce qui concerne la question d’élargir l’aide médicale à mourir aux enfants, toutes les personnes concernées ont en tête les bonnes raisons.
Ce qui me préoccupe, c’est l’effet boule de neige. Nous connaissons tous l’histoire de la boule de neige qui est au sommet de la colline. Nous la laissons rouler vers le bas. Au fur et à mesure qu’elle descend, elle prend de la vitesse et devient de plus en plus grosse. Lorsqu’elle atteint le bas de la colline, dans certains cas, elle est trop grosse pour être manipulée. Je me préoccupe également des personnes vulnérables qui souffrent de maladies mentales. Je suis tout à fait d’accord avec le sénateur Kutcher lorsqu’il dit qu’il faut plus de ressources financières et humaines. Ces ressources manquent dans tout le pays et dans ma province, Terre-Neuve-et-Labrador. Il faut plus de ressources financières et humaines.
(1530)
C’est de l’évolution des mentalités en ce qui concerne les maladies mentales qu’il s’agit. Je pense à la génération de nos parents, qui ne comprenait pas du tout, très peu, la santé mentale. Je me souviens de la situation quand j’étais jeune à St. Bride’s, ma ville natale. Aujourd’hui, je sais — je l’ignorais à l’époque — qu’il y avait des gens dans la collectivité qui souffraient de troubles de santé mentale et il y en a toujours. Mais on disait toujours : « Il y a quelque chose qui ne va pas chez lui ou chez elle. » Ce n’était pas méchant du tout. Il en était simplement ainsi, en raison du manque de compréhension, d’éducation et de connaissances. C’était peut‑être, et surtout, parce qu’on n’en parlait pas assez.
Je ne prétends aucunement connaître la santé mentale aussi bien que le sénateur Kutcher, étant donné son parcours professionnel, mais je dirais toutefois que, de nos jours, la plupart d’entre nous ont une certaine connaissance des problèmes liés à la santé mentale. Nous lisons et nous écoutons différentes sources; nous avons d’ailleurs la chance d’entendre, ici même au Sénat, des gens qui ont une solide expérience dans le domaine de la santé mentale. C’est ainsi que nous améliorons nos connaissances et notre compréhension, de façon à pouvoir transmettre ces renseignements à d’autres personnes. Ce privilège que nous avons à titre de sénateurs n’est pas donné à tous les Canadiens.
Comme je l’ai dit, étant donné qu’on parle davantage des problèmes de santé mentale de nos jours, que ce n’est plus un sujet tabou, on acquiert quelques connaissances limitées à ce sujet. La génération actuelle, celle de nos enfants, comprend le sujet beaucoup mieux que nous. Je suis sincèrement convaincu, et j’espère vraiment, que cette meilleure compréhension leur permettra de trouver de bien meilleurs moyens de composer avec les problèmes de santé mentale à l’avenir.
Contrairement à un problème physique comme une fracture à une jambe ou à un bras, les troubles mentaux sont imprévisibles. Ce sont des maladies très troublantes avec lesquelles des gens vivent pendant toute leur vie.
Nous devons tous avoir à cœur de faire preuve de respect, d’amour et de compréhension envers les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale.
L’objectif du projet de loi C-39, comme il a été présenté par le gouvernement, est de la prolonger d’une autre année. Si je croyais que nous la prolongeons d’une autre année pour vérifier si nous prenons partout au pays les mesures appropriées en cas de maladie mentale — pour déterminer si nous faisons fausse route en présentant cette mesure —, je pourrais trouver le moyen de l’appuyer. Cependant, à mon humble avis, la raison pour laquelle nous avons le projet de loi C-39, c’est qu’il y a eu une vive réaction partout au Canada de la part des personnes qui s’inquiètent de la direction que prend l’aide médicale à mourir et qui se préoccupent de l’effet boule de neige. Je pense que c’est pour cela que nous sommes ici aujourd’hui à débattre d’un projet de loi qui demande une prolongation d’une année.
Le gouvernement ne demande pas d’avoir une année de plus pour déterminer la voie qu’il veut suivre. Il demande une autre année en espérant que les chiffres augmenteront dans les sondages qu’il effectue pour faire en sorte que sa version des faits soit acceptée.
Encore une fois, j’ai de graves préoccupations concernant la façon dont il s’y est pris.
Je ne suis ni médecin ni psychiatre. Je n’ai reçu aucune formation en soins de santé ni en droit. Je suis seulement quelqu’un qui connaît plusieurs personnes qui ont vécu toute leur vie avec de gros problèmes de santé mentale, des gens qui, selon moi, ont besoin de l’aide de tous les ordres de gouvernement et de tous les types de professionnels de la santé. Ils n’ont pas besoin d’aide à mourir.
Je comprends qu’il s’agit d’une question délicate et je respecte l’opinion de tout le monde. Certaines personnes ont un bagage différent du mien. Certaines personnes ont différentes façons d’aborder les choses afin d’accepter — ou non — les problèmes de santé mentale. Je n’ai pas l’intention de juger qui que ce soit en fonction de leur opinion à ce sujet.
Je suis respectueusement en désaccord avec l’aide à mourir, avec l’élargissement dont nous parlons ici aujourd’hui et avec le fait de l’élargir aux enfants.
Je crois que nous devrions parler du counseling et du fait d’augmenter le nombre de conseillers. Je crois que nous devrions parler du fait d’offrir davantage de services de thérapie. Je crois que nous devrions parler des façons de s’attaquer à ce problème très grave qui touche actuellement le Canada.
Je n’insisterai pas davantage sur ce point. Je tenais simplement à saisir l’occasion d’aujourd’hui pour dire quelques mots afin de consigner mon opinion au compte rendu, pour ce que cela vaut.
C’est très paradoxal, car je me suis arrêté à un commerce local la semaine dernière alors que je me rendais à Terre-Neuve. Je suis toujours à la recherche de livres — j’adore lire —, en particulier des livres qui portent le moindrement sur Terre-Neuve-et-Labrador, notamment sur son histoire et les personnes qui en ont fait la province à laquelle je suis si fier d’appartenir. Je me suis arrêté à un magasin et j’ai acheté un livre intitulé From The Shadows: Surviving the Depths of Mental Illness.
Je suis également un homme de foi. Comme je l’ai dit, à mon humble avis, il y a une raison à tout.
L’ouvrage a été écrit par E. Pauline Spurrell, qui a souffert toute sa vie de troubles mentaux. Elle vit dans le petit village de Hillview à Terre-Neuve avec son mari Don, et ce, depuis près de 40 ans. Ils ont un fils, Andrew. C’est une histoire passionnante — je n’entrerai pas dans les détails aujourd’hui —, mais je suggère à tous ceux qui veulent en savoir plus sur la façon dont les gens gèrent les problèmes de santé mentale ou qui veulent obtenir le point de vue d’une personne qui a vécu cette expérience dans des circonstances très tragiques d’acheter un exemplaire de son livre.
Après une petite enfance heureuse, E. Pauline Spurrell a subi un traumatisme qui a mené à une adolescence troublée et à une vie adulte tumultueuse. On lui a diagnostiqué, parfois à tort, de nombreuses maladies mentales. Elle a subi un cycle qui semblait sans fin de traitements prescrits et d’échecs, puis, un jour, c’en était assez. Après avoir erré dans les profondeurs du désespoir pendant des années, elle s’est tournée vers des approches de découverte de soi. Mme Spurrell a créé des outils pour comprendre ses troubles et les effets qu’ils avaient sur sa vie. Elle s’est redonné la priorité et a retrouvé l’enfant en elle qu’elle avait abandonnée. Elle est sortie de l’ombre sous la forme d’un portrait à multiples morceaux, parfait dans toutes ses imperfections.
Après avoir lu son livre la semaine dernière, j’ai eu l’occasion hier de parler au téléphone avec Mme Spurrell pendant environ une heure pour en savoir un peu plus. Comme je l’ai dit, je ne suis pas un spécialiste du domaine. J’ai simplement le privilège de siéger au Sénat du Canada et de participer aux débats sur d’importantes mesures législatives comme celle dont nous sommes saisis. J’ai discuté avec Mme Spurrell. Elle vit maintenant une vie pleine et heureuse. Il est vrai qu’elle souffre encore d’épisodes de maladie mentale, mais elle a trouvé le moyen de s’en sortir. Elle était lourdement médicamentée; je ne m’aventurerais même pas à essayer de prononcer le nom de son médicament aujourd’hui.
Elle a trouvé une façon de s’en sortir. Il y a eu des moments de désespoir; on peut le lire dans son livre. Le traumatisme qu’elle a vécu est inconcevable. Or, elle a trouvé une façon de s’en sortir.
À la lecture du livre, j’ai trouvé une raison de m’opposer à l’aide médicale à mourir pour les gens qui souffrent de troubles mentaux. J’ai trouvé une raison de prendre la parole ici aujourd’hui et de vous raconter l’histoire de personnes comme Pauline, qui a trouvé une voie différente, qui a trouvé un moyen de se sortir d’une vie de désespoir, d’une vie de traumatisme, d’une vie de tragédie, et qui a trouvé un moyen de vivre une vie heureuse et épanouie avec son mari, Don, son fils Andrew, sa famille et ses amis.
(1540)
Honorables sénateurs, ces discussions ne sont pas faciles. Depuis que je siège ici, nous avons vu de nombreux textes législatifs traitant de questions financières et, de temps en temps, nous pouvons être d’accord et en désaccord sur la manière dont nous traitons les politiques budgétaires de ce pays.
Il nous arrive d’étudier des textes législatifs qui touchent une corde sensible et qui font ressortir des parties de nous-mêmes dont nous ne soupçonnions parfois même pas l’existence. Ce projet de loi est l’un de ceux-là.
Je pense que l’effet boule de neige de l’aide médicale à mourir ne s’arrêtera pas avec le projet de loi C-39. Je crois fermement que, pour ceux qui ont l’occasion de passer plus de temps sur cette terre, nous aurons à nous pencher sur un autre aspect de cet effet boule de neige dans un avenir pas si lointain.
Comme je l’ai dit, je ne suis pas un expert. Je ne connais pas à fond certains de ces graves enjeux, mais je suis une personne qui vit sa vie, et je respecte la possibilité qu’ont les autres de vivre la leur.
Merci.
Des voix : Bravo!
[Français]
L’honorable Julie Miville-Dechêne : Je prends brièvement la parole à l’étape de la troisième lecture pour appuyer le projet de loi C-39, qui retarderait d’un an l’admissibilité à l’aide médicale à mourir pour les cas où la maladie mentale est la seule condition invoquée.
Comme mes collègues le sénateur Manning et le sénateur Kutcher l’ont mentionné, c’est une question très difficile. Ce n’est pas facile de parler d’aide médicale à mourir. Depuis que j’écoute mes collègues, je suis assez émotive, donc je vais poursuivre.
Je suis en faveur de ce report, qui donnera aux experts 12 mois de plus pour tenter de raffiner des balises visant à encadrer cette pratique extrêmement rare partout dans le monde, mais plus fondamentalement, je doute de la nécessité d’agir aussi rapidement sur une question aussi grave, dans un contexte de manque criant de ressources psychiatriques.
J’ai toujours pensé que la question de l’aide médicale à mourir pour les gens souffrant de maladies psychiatriques ne se réduisait pas à une simple question de droits individuels ou d’analyse constitutionnelle. La maladie mentale est plus complexe que la maladie physique, car elle évolue souvent de façon lente et imprévisible. Contrairement aux maladies neurologiques dégénératives, dont l’évolution est connue et prévisible, il n’est pas rare de voir les souffrances psychologiques associées à une maladie mentale s’améliorer à moyen et à long terme.
Dans ce dossier, le Parlement fédéral a pris les devants par rapport au Québec, avant d’avoir fait le même examen. À la mi‑février, donc il y a moins d’un mois, le gouvernement du Québec a déposé un projet de loi qui n’élargit pas l’aide médicale à mourir aux patients souffrant uniquement de maladie mentale.
Cette exclusion a été recommandée dans le rapport de la Commission spéciale transpartisane québécoise sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fins de vie, après une longue consultation auprès du public et des experts. Le rapport dit notamment ce qui suit :
L’autodétermination n’est pas le seul principe à être pris en compte dans cette discussion. La protection des personnes vulnérables, l’aptitude à consentir, et les risques de dérives sont autant d’éléments qui entrent dans l’équation.
Le rapport québécois prend acte de la division des psychiatres sur l’incurabilité et l’irréversibilité de certains troubles mentaux. Cette division reflète la complexité de ces maladies qui, à long terme, évoluent de façon plus imprévisible que les maladies physiques.
Il y a donc un risque réel d’offrir prématurément l’aide médicale à mourir. Je ne crois pas, sénateur Kutcher, pour faire écho à votre allocution, qu’en disant cela je participe à la campagne de désinformation sur ces questions. Je crois qu’il y a des différences fondamentales d’opinions dans la profession médicale et je pense qu’il faut, pour cette raison, être particulièrement prudent.
Le rapport québécois cite des psychiatres qui nous expliquent que les idées suicidaires sont inhérentes à certains troubles mentaux. Par ailleurs, la réponse aux traitements psychiatriques est variable. L’amélioration des souffrances peut survenir tardivement, après des mois et des années de traitements de psychiatrie, lorsque ceux-ci sont disponibles. Je vais citer un autre extrait du même rapport :
Nous avons entendu les témoignages de plusieurs personnes qui, après des années de traitements infructueux, sont parvenues à un meilleur équilibre. Ces témoins nous ont confié que s’ils avaient été admissibles à l’aide médicale à mourir, ils auraient sans nul doute déposé une demande à cette fin, à une époque où leur condition de santé leur semblait sans espoir. Aujourd’hui, ces mêmes personnes se portent beaucoup mieux et arrivent à composer avec leur maladie, car elles ont reçu un diagnostic juste et des traitements appropriés. Ainsi, l’incertitude qui plane autour des trajectoires de troubles mentaux nous invite à une grande prudence.
Le témoignage qui a le plus marqué les membres de la commission est venu de l’Association québécoise de prévention du suicide. Selon l’association, l’élargissement de l’aide médicale à mourir ne serait pas sans effets sur les personnes qui ont des tendances suicidaires. On craint que cela n’envoie le signal que la mort est une option légitime ou appropriée pour les personnes atteintes de troubles mentaux. Des années d’efforts en matière de prévention du suicide seraient ainsi menacées. Je précise que cela ne veut pas dire que ces malades suicidaires obtiendraient l’aide médicale à mourir, mais ils pourraient voir leur détresse croître. Je rappelle que le Québec est un pionnier en matière d’aide médicale à mourir. Pourtant, les parlementaires québécois ont décidé de ne pas se précipiter sur l’enjeu précis de l’admissibilité à l’AMM pour cause de maladie mentale, parce qu’il y a trop de divergences d’opinions.
Je tiens aussi à souligner deux éléments qui, à mon avis, renforcent l’importance de bien prendre le temps de réfléchir à ces questions délicates. D’abord, le Québec occupe maintenant le premier rang dans le monde, avec 7 % des décès dans la province qui sont attribuables à l’aide médicale à mourir. Le Québec devance l’Ontario et même la Belgique et les Pays-Bas, qui sont des pionniers de longue date. Cette progression nettement plus rapide qu’ailleurs de l’aide médicale à mourir a forcé le président de la commission québécoise à en chercher la cause et à lancer une consultation, tout en plaidant en faveur d’un meilleur accès aux soins palliatifs.
Deuxièmement, il semble qu’il est aujourd’hui plus facile, au Québec du moins, d’obtenir l’aide médicale à mourir que des soins palliatifs complets. Pourtant, ces deux options, soit l’aide médicale à mourir et les soins palliatifs, doivent être disponibles conformément à la loi québécoise, qui garantit un accès à ces soins à tous les citoyens, qu’ils soient offerts à domicile ou en institution.
Des événements tragiques qui se sont produits au Québec récemment ont mis au jour les failles du système. Mme Andrée Simard, veuve de l’ex-premier ministre du Québec Robert Bourassa, s’est fait refuser des soins palliatifs au cours de ses trois derniers jours de vie, à l’hôpital St-Mary’s de Montréal. En l’absence de sédation palliative, elle est morte dans de grandes souffrances, selon sa fille, Michelle Bourassa, avec qui j’ai longuement discuté. Mme Simard avait défendu à sa famille d’utiliser sa notoriété pour obtenir un traitement de faveur. C’est sa fille qui a choisi de se battre à la mémoire de sa mère pour qu’on traite avec humanité et équité tous les mourants, qu’ils choisissent les soins palliatifs ou l’aide médicale à mourir.
Donc oui, même si ces enjeux ne sont pas de compétence fédérale, je considère que la disponibilité et la qualité des soins palliatifs et des services psychiatriques sont un prérequis à l’élargissement de l’aide médicale à mourir. Nous ne pouvons pas légiférer en vase clos, dans l’univers abstrait de la Charte des droits, détachés de la réalité concrète des soins disponibles pour les patients. Comme législateurs responsables, nous devons réfléchir à l’applicabilité et aux conséquences concrètes des lois sur lesquelles nous votons. En l’occurrence, il s’agit d’éviter les dérives actuelles, où le système de soins de santé contourne le problème de l’accès aux soins en élargissant l’accès à l’aide médicale à mourir. Un meilleur accès aux soins psychiatriques est un prérequis pour traiter la souffrance de nos concitoyens. C’est également de cette façon que doit s’exercer notre compassion. Pour toutes ces raisons, je vais voter en faveur du projet de loi C-39. Merci.
Des voix : Bravo!
(1550)
[Traduction]
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je me trouve aujourd’hui dans une situation très inusitée. Ce n’est pas tous les jours que je me sens obligé de parler d’une mesure législative qui est mal conçue et — je le dis en toute objectivité — qui manque de vision, tout en m’engageant à ne pas empêcher son adoption. Cependant, le gouvernement nous a lié les mains parce que les conséquences seront beaucoup plus désastreuses si nous n’adoptons pas le projet de loi C-39.
Comme le sénateur Manning l’a dit dans son discours éloquent et chargé d’émotions, nous sommes en désaccord les uns avec les autres, mais je respecte l’opinion de toutes les personnes dans cette enceinte, même lorsqu’elle est différente de la mienne. Je respecte l’opinion du sénateur Kutcher, un collègue pour qui j’ai du respect, mais je veux parler un peu de ce qui m’a troublé dans les remarques qu’il a faites il y a quelques minutes.
Le suicide consiste à mettre fin volontairement à sa propre vie. On peut tenter de donner un autre nom à cet acte, mais c’est un suicide. Si une personne décide de mettre fin intentionnellement à sa vie, même si elle réclame l’aide de quelqu’un d’autre pour le faire, veillons à au moins employer le mot juste.
Quand le bon sénateur affirme qu’on ne donnera pas un accès au suicide à une personne suicidaire — alors que nous sommes en train d’adopter un projet de loi qui fait exactement cela —, je trouve cela ahurissant parce que appeler cela une « aide médicale à mourir » ne change rien au fait qu’une personne met fin volontairement à ses jours, même si elle réclame l’aide d’une autre personne pour le faire.
Je tiens d’emblée à ce qu’il soit bien clair, pour tous ceux qui nous écoutent, que l’adoption de ce projet de loi ne devrait en aucun cas être interprétée comme une approbation de la légalisation du suicide assisté pour cause de trouble mental. C’est tout le contraire. Si ce projet de loi n’a pas été adopté le 17 mars — soit la semaine prochaine, chers collègues —, des Canadiens dont le trouble mental est le seul problème médical sous-jacent pourront mettre fin à leurs jours avec l’aide d’un professionnel de la santé.
Même si je crois que le gouvernement libéral devrait tout simplement laisser tomber ce dangereux élargissement, ceux d’entre nous qui demeurent fermement contre profiteront de ce report pour continuer de lutter pour les nombreux Canadiens aux prises avec la maladie mentale afin de tenter de les garder en vie.
Il y a deux ans, à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-7, le Sénat avait proposé un amendement visant à supprimer l’exclusion liée à la maladie mentale pendant une période de 18 mois. Contre toute attente, le gouvernement avait accepté cet amendement, mais proposé une nouvelle date d’expiration arbitraire de 24 mois, ce qui nous amène au 17 mars 2023.
Le gouvernement a approuvé cet amendement après que le ministre Lametti eut déclaré à notre Comité des affaires juridiques et constitutionnelles et au Comité de la justice de la Chambre des communes qu’il n’y avait pas de consensus dans le milieu de la santé mentale et de la psychiatrie qui justifiait l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale à ce moment. Il a aussi déclaré avec raison qu’il ne s’agissait pas d’une exigence de la décision de la Cour suprême.
Cet amendement à l’étape de la troisième lecture a été accepté sans que les parlementaires aient eu l’occasion d’examiner la proposition avec l’aide de témoins experts et, assurément, sans qu’un consensus médical ait été établi.
Puis, après coup, le gouvernement a mis sur pied un groupe d’experts non pas pour déterminer si la mise en œuvre du suicide assisté dans les cas où le seul trouble de santé invoqué est une maladie mentale pouvait se faire en toute sécurité, mais plutôt pour établir des recommandations sur les protocoles.
Comme l’a déclaré un ancien président de l’Association des psychiatres du Canada, le Dr Sonu Gaind, lorsqu’il a témoigné devant le comité parlementaire mixte : « Cette façon de faire [est étrangère] à la démarche scientifique ». Il a souligné ce qui suit :
Aucune société pharmaceutique ne se fait demander un mode d’emploi pour un somnifère dont on lui dit qu’il sera approuvé dans deux ans sans preuve d’efficacité ou d’innocuité. La disposition de caducité et le mandat du groupe fédéral d’experts s’appuient sur des bases moins solides que ce qu’on exige pour autoriser la mise en marché d’un somnifère.
La disposition de caducité a été vendue comme un moyen de donner du temps pour élaborer des normes et des mesures de sauvegarde. Cependant, cette notion a été discréditée par de nombreux membres de la communauté psychiatrique, car elle ignore la seule véritable mesure de sauvegarde dont nous disposons pour éviter une mort prématurée : l’irrémédiabilité. Le gouvernement n’avait nullement l’intention d’étudier l’opportunité de mettre en œuvre cette politique extrêmement controversée, qui met en jeu la vie et la mort. Il souhaitait seulement élaborer un guide pratique.
À la fin de l’année dernière, après qu’un certain nombre d’histoires déchirantes ont fait la une des journaux, démontrant les dangers de notre régime nouvellement élargi, le gouvernement a annoncé qu’il proposerait certaines modifications à la loi au cours de la nouvelle année.
Puis, à la dernière minute, quelques semaines avant l’expiration de la disposition de caducité, le gouvernement a déposé le projet de loi C-39, qui prévoit un délai supplémentaire d’un an.
Je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi, après avoir admis qu’un délai de deux ans était insuffisant, le gouvernement est prêt à prendre le risque d’imposer un nouveau délai arbitraire dans l’espoir que des données probantes se présentent soudainement.
Pourquoi les défenseurs de l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de maladie mentale n’éliminent-ils pas tout simplement ce délai et ne proposent-ils pas cette politique plus tard, si jamais des données probantes le justifient? Comment le gouvernement peut-il avoir la certitude qu’on y verra soudainement plus clair dans un an, alors que le milieu psychiatrique n’est pas du tout convaincu que nous devrions aller de l’avant?
Chers collègues, je ne rabâcherai pas aujourd’hui tous les arguments qui existent contre le suicide assisté pour les personnes atteintes de maladie mentale, car j’ai longuement parlé de cette question en 2021, lorsque cette politique a été proposée pour la première fois. Cependant, de nombreux nouveaux témoins, notamment ceux qui ont comparu devant le comité parlementaire mixte spécial, ont tiré la sonnette d’alarme. J’encourage tous mes collègues à se pencher sur les travaux de ce comité et à prendre note des préoccupations exprimées par les experts dans ce domaine.
Par exemple, le comité a entendu des témoignages d’experts qui ont déclaré que les Canadiens vulnérables et marginalisés sont à plus grand risque d’un décès prématuré; que certains patients psychiatriques ont manifesté leur intention d’arrêter, en prévision de l’aide médicale à mourir, des traitements qui pourraient s’avérer efficaces; qu’il n’existe pas encore de données suffisantes et qu’en ce moment il est toujours impossible de faire une distinction entre les idées suicidaires et les demandes d’aide médicale à mourir.
Cependant, aujourd’hui, j’aimerais souligner le témoignage qui est essentiel à la discussion actuelle, en mettant l’accent sur un facteur clé : l’ensemble du régime canadien de l’aide médicale à mourir, comme il est préconisé par la Cour suprême du Canada, est fondé sur la prémisse que seulement les personnes qui souffrent de maladies graves et irrémédiables devraient y être admissibles.
Voici ce que nous avons appris des experts sur le caractère irrémédiable de la maladie mentale. Le Centre de toxicomanie et de santé mentale a conclu ceci :
Il n’existe tout simplement pas suffisamment de preuves dans le domaine de la santé mentale en ce moment pour que les praticiens puissent vérifier si une personne en particulier souffre d’une maladie mentale insoignable.
(1600)
Voici ce qu’a déclaré le Dr John Maher, psychiatre et éthicien médical, au comité parlementaire mixte :
Les psychiatres ne savent pas, et ne peuvent pas savoir, quel patient verra son état s’améliorer et vivra une bonne vie pendant des décennies. Les maladies du cerveau ne sont pas comme des maladies du foie. Si les conjectures vous conviennent, sachez qu’elles ne conviennent pas aux psychiatres qui comprennent les données scientifiques et s’acquittent de leur devoir de respecter une norme de soins professionnelle. Vous avez été systématiquement induits en erreur par une idéologie discriminatoire au détriment de la réalité clinique. Adopter une loi qui indique aux psychiatres de faire des prédictions impossibles ne rend pas la chose possible par magie.
Le Dr Sonu Gaind, psychiatre, a dit ceci au comité :
Ceux qui prônent l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir proposent d’adoucir cette réalité en mettant en place « des mesures de sauvegarde ». C’est ignorer le fait que le caractère irrémédiable d’une situation est, en soi, la principale mesure de sauvegarde intégrée au cadre de l’aide médicale à mourir, et que la court-circuiter rend vaines toutes les autres soi-disant « mesures de sauvegarde ».
Dans son témoignage, le Dr Brian Mishara, psychiatre clinicien et professeur à l’Université du Québec à Montréal, a affirmé ce qui suit :
Je suis un scientifique. La dernière étude Cochrane sur la recherche sur la capacité de trouver un indicateur de l’évolution à venir d’une maladie mentale, traitée ou non, a conclu que nous ne disposions d’aucune méthode scientifique précise pour le faire.
Le Dr Mark Sinyor, psychiatre et spécialiste de la prévention du suicide, a affirmé ceci :
En résumé, nous n’avons pas les données scientifiques nécessaires pour évaluer la sécurité de l’aide médicale à mourir dans les cas de maladie mentale. Si j’avais plus de temps, je pourrais vous donner de nombreux exemples, mais je vais plutôt me centrer sur l’absence totale de recherche sur la fiabilité des prédictions des médecins quant au caractère irrémédiable de la maladie ou des souffrances dans les cas de problèmes psychiatriques. À ma connaissance, il n’y en a aucune.
Même le groupe d’experts sur l’aide médicale à mourir et la maladie mentale a affirmé sans détour dans son rapport :
Les connaissances sur le pronostic à long terme de nombreuses maladies sont limitées et il est difficile, voire impossible, pour les cliniciens de formuler des prévisions précises sur l’avenir d’un patient donné.
Chers collègues, voilà ce qui est avancé par le groupe d’experts du gouvernement, qui a déclaré clairement qu’il est difficile, voire impossible, de déterminer le caractère irrémédiable d’une maladie mentale.
Même si plus de 85 % des psychiatres de l’Ontario ont répondu dans un sondage récent qu’ils sont favorables au suicide assisté en général, moins de 30 % d’entre eux sont d’accord pour que la loi soit élargie à la maladie mentale comme seule condition médicale invoquée.
Après plusieurs mois d’étude, la commission spéciale sur l’aide médicale à mourir mise sur pied par l’Assemblée nationale du Québec a recommandé de ne pas élargir l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes dont le seul problème médical est un trouble mental.
En octobre 2020, l’Association des psychiatres du Canada a interrogé ses membres, et moins de la moitié d’entre eux ont déclaré être favorables au suicide assisté pour des raisons de maladie mentale.
Où est le consensus scientifique général dont on nous a parlé?
Chers collègues, nul besoin d’être scientifique ou psychiatre pour comprendre la gravité de cette politique. Comme on l’a évoqué, un récent sondage Angus Reid qui s’est penché sur l’opinion des Canadiens en matière d’aide au suicide a révélé que, si les Canadiens sont « généralement favorables » à l’aide médicale à mourir dans son ensemble, seuls 3 Canadiens sur 10, soit 31 %, déclarent soutenir le concept d’aide au suicide pour les personnes atteintes de troubles mentaux irrémédiables.
Nous connaissons tous quelqu’un qui souffre de problèmes de santé mentale. La plupart d’entre nous sont parfaitement conscients de l’état lamentable des soins de santé mentale dans notre pays. Il est navrant que nous nous dirigions vers une politique qui offre la mort à ces personnes avant qu’elles n’aient eu la possibilité de bénéficier d’un traitement acceptable. C’est une indication affligeante de l’état de notre société et de la valeur que nous accordons à la vie.
Voici ce que M. Mark Sinyor a dit au comité mixte :
[...] si les choses vont de l’avant, les évaluateurs des demandes d’aide médicale à mourir n’auront aucune idée du nombre de fois où ils se seront trompés lorsqu’ils détermineront l’admissibilité d’une personne dans le contexte de l’aide médicale à mourir ayant pour seul motif la maladie mentale. Ils pourraient se tromper dans 2 % des cas ou dans 95 % des cas. Cette information doit être à l’avant-plan de notre discussion; or, nous ne l’abordons pas du tout.
À partir de quand considère-t-on qu’il y a trop d’erreurs, chers collègues?
Le ministre Lametti a déclaré hier que s’il y a le moindre doute quant au caractère irrémédiable de la maladie mentale, la personne ne recevra pas l’aide médicale à mourir, point final.
Le sénateur Kutcher en a parlé dans son discours.
Pourtant, plus de la moitié des psychiatres estime qu’il n’est jamais possible de confirmer qu’une maladie mentale est irrémédiable. Ce n’est pas aussi clair et net que le laisse entendre le ministre, et il le sait.
Le sénateur Kutcher a déclaré publiquement que les psychiatres qui s’opposent au suicide assisté pour les malades mentaux sont paternalistes. Au moins un des témoins entendus par le comité a trouvé cette observation choquante et insultante. Chers collègues, imaginez dire aux psychiatres et aux autres cliniciens qui n’ont pas épuisé toutes les options de traitement, qui observent des améliorations à long terme et qui gardent espoir pour leurs patients qu’ils sont paternalistes parce qu’ils refusent de jeter l’éponge.
Le psychiatre John Maher a contesté cette idée, déclarant au comité mixte :
Vous avez déclaré que tous les psychiatres canadiens qui s’opposent à l’aide médicale à mourir pour les maladies mentales étaient égoïstes et paternalistes. J’ignore pourquoi vous avez fait ce commentaire, mais je défie tout psychiatre d’affirmer que tel patient souffre d’un problème irrémédiable, car c’est impossible. J’ai des patients qui se sont rétablis après 5 ans, 10 ans, 15 ans. Ce n’est tout simplement pas possible. Ce sont des conjectures. Si les conjectures vous suffisent, si vous faites confiance au hasard, ou si vous êtes d’avis qu’il faut respecter l’autonomie à tout prix — si quelqu’un souhaite mourir, qu’on le laisse mourir —, appelez les choses par leur nom: on parle ici de suicide assisté.
Honorables sénateurs, cet élargissement contourne les principales mesures de sauvegarde que nous avons mises en place contre la mort prématurée. Malgré cela, nous sommes censés être rassurés par un report d’un an. Le fait de faciliter la mort des patients atteints d’une maladie mentale sera aussi dangereux en 2024 qu’il le serait si nous le faisons la semaine prochaine. La date du 17 mars 2024 n’a rien de fantastique, tout comme la date originale. Cependant, adopter le projet de loi C-39 revient à voter contre la légalisation de l’aide au suicide pour les personnes atteintes d’un trouble mental. Nous allons profiter de cette occasion pour faire les choses comme il faut.
Mon collègue de la Chambre des communes Ed Fast, député d’Abbotsford, a déjà présenté le projet de loi C-314, qui vise à indiquer clairement dans le Code criminel qu’un trouble mental n’est pas un problème de santé grave et irrémédiable à l’égard duquel une personne pourrait recevoir l’aide médicale à mourir.
Lorsqu’il a présenté ce projet de loi, le député a dit que le gouvernement accorde une plus grande priorité « à l’aide au suicide qu’à la prévention du suicide », alors qu’il faudrait d’abord veiller à fournir l’aide sociale et en santé mentale dont les Canadiens vulnérables ont besoin.
Je tiens à féliciter mon collègue de cette intervention rapide et réfléchie.
Honorables collègues, nous aurons l’occasion de faire les choses comme il faut lorsque nous serons saisis de ce projet de loi, et j’espère qu’il nous sera renvoyé. Il me tarde de pouvoir appuyer ce projet de loi à toutes les étapes, et j’espère que vous le ferez également comme nous.
(1610)
J’ai toujours dit que l’aide à mourir est une question très personnelle et chargée d’émotivité sur laquelle des gens raisonnables peuvent être en désaccord.
Cependant, je veux prendre un moment pour réfléchir aux débats que nous avons eus lorsque l’aide à mourir a été légalisée initialement par le projet de loi C-14, puis lorsqu’elle a été élargie par le projet de loi C-7. Ceux d’entre nous qui ont évoqué d’autres pays et soulevé l’argument de la pente glissante se sont fait répondre que leurs inquiétudes n’étaient pas fondées. Nous l’avons encore entendu cet après-midi dans cette enceinte. On nous a dit qu’il s’agissait de sophismes et que le Canada faisait preuve de prudence. On nous a assuré que l’aide au suicide ne serait proposée que dans les circonstances les plus étroites et les plus sérieuses.
Chers collègues, voyez où nous en sommes aujourd’hui. Même si je pensais que nous étions sur une pente dangereuse, je n’aurais jamais pu imaginer qu’en quelques années seulement, nous proposerions l’aide au suicide à des personnes vivant avec un handicap avant même d’avoir apporté des améliorations mineures à leur qualité de vie. Je n’aurais jamais pu imaginer que nous proposerions l’aide au suicide à des vétérans, à des personnes souffrant de maladies qui pourraient être traitables.
Et maintenant, chers collègues, on envisage sérieusement de proposer l’aide au suicide aux enfants, seulement quelques années après que nos craintes à propos d’un possible dérapage ont été balayées du revers de la main. Soyons conscients de la vitesse à laquelle nous avons évolué la prochaine fois que ces questions seront soulevées. Envisageons sérieusement de tenir compte des avertissements des experts internationaux qui ont vu cette situation se dérouler dans leur pays.
Toutes les décisions politiques que nous prenons sont importantes, mais, dans ce cas, le risque que nous prenons si nous nous trompons a des conséquences tragiques de vie ou de mort.
Pour la gouverne de ceux qui nous écoutent et qui souffrent d’une maladie mentale ou dont un être cher a une maladie mentale, ainsi que de ceux qui les soignent et qui les soutiennent, sachez que cette lutte n’est pas terminée. Le travail vient tout juste de commencer.
Comme je l’ai dit, le projet de loi C-314 a été présenté et il mettra fin à cet élargissement imprudent. Je suis impatient de continuer de lutter ici, au Sénat, et j’invite mes collègues à accorder au projet de loi l’attention qu’il mérite lorsque le Sénat en sera saisi. Merci.
L’honorable Yuen Pau Woo : Honorables sénateurs, permettez-moi d’offrir quelques réflexions au sujet du projet de loi à l’étude, et ce, dans le même esprit que l’ont fait les sénateurs qui sont intervenus avant moi et qui, sans être experts dans le domaine de l’aide médicale à mourir, attachent énormément d’importance à cet enjeu.
Le sénateur Plett a bien résumé ce qui nous amène ici aujourd’hui. Il a parlé du projet de loi C-7 déposé il y a deux ans et souligné que le gouvernement ne voulait pas que le régime canadien d’aide médicale à mourir englobe les situations où un trouble mental serait le seul problème médical invoqué.
C’est le Sénat qui a proposé d’éliminer l’exclusion relative à la maladie mentale comme seul problème invoqué, un amendement qui a finalement été adopté.
Pendant le débat concernant l’élimination de l’exclusion, il y avait deux arguments en faveur de cette élimination. Selon le premier argument, exclure la maladie mentale irait à l’encontre de la Constitution, parce que ce serait discriminatoire. Selon le deuxième argument, la profession médicale avait déjà les outils et la capacité nécessaires pour évaluer la capacité des patients qui invoqueraient seulement un trouble mental pour demander l’aide médicale à mourir.
Ces deux arguments auraient suffi pour éliminer l’exclusion. En fait, le premier argument, celui du caractère inconstitutionnel de l’exclusion, était déjà amplement suffisant, mais nous avons choisi une autre voie. Nous avons choisi de retarder l’entrée en vigueur de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, car nous étions d’avis que la profession médicale n’avait pas encore tous les outils et les pratiques nécessaires pour évaluer correctement la capacité des personnes qui présentent une telle demande.
Finalement, la période de report convenue a été fixée à 24 mois. Nombreux sont ceux qui ont qualifié la disposition de « clause crépusculaire » par euphémisme. À l’époque, j’ai pensé que l’image d’un crépuscule n’était pas appropriée pour de nombreuses raisons, surtout parce que les crépuscules sont inévitables et inaltérables. Or, la nature de la tâche que nous avons confiée au milieu médical pendant cette période de 24 mois ne se prêtait pas à une date fixe.
Je préfère l’idée d’un avion sur une piste, où la raison d’être du report était de préparer l’avion pour le décollage. Cette image nous amène à nous demander non seulement si l’avion est prêt à décoller, mais si la piste est assez longue.
Comme je l’ai déclaré dans mon discours du 9 février 2021 :
Qu’arrivera-t-il si l’avion n’est pas prêt à décoller dans 18 mois? Qu’arrivera-t-il si le problème n’est pas de former un plus grand nombre de personnes ou d’harmoniser les normes, mais plutôt de régler les difficultés ou de relever les défis qui font que le monde médical n’arrive pas à déterminer comment évaluer la capacité?
Chers collègues, je vous pose la même question aujourd’hui, à la veille de notre vote sur ce projet de loi.
Cette fois-ci, je crois que la différence est que l’objectif de reporter d’une année est présenté de manière plus précise comme une question technique. Autrement dit, il faudrait 12 mois pour mettre en place les protocoles requis, développer les outils de formation et satisfaire aux deux autres critères énoncés par le sénateur Kutcher.
Par conséquent, j’ai tout lieu de croire qu’à compter du 17 mars 2024, la loi autorisera le recours à l’aide médicale à mourir dans les cas où la seule condition médicale invoquée est la maladie mentale. La piste de décollage du « vol C-39 » sera assez longue et la loi entrera en vigueur, mais je ne suis pas certain qu’il y aura à bord autant de passagers qu’il le devrait.
Chers collègues, cette situation tient au fait qu’il y a toujours un profond désaccord entre les médecins en ce qui concerne la notion d’irrémédiabilité. D’éminents experts campent des deux côtés du débat. Si comme moi, vous espériez que le délai initial de 24 mois permettrait de préciser de façon scientifique la notion d’irrémédiabilité, vous serez déçus. À vrai dire, l’écart entre les deux points de vue est plus grand que jamais et se creuse notamment parce que les médias font état de recours à l’aide médicale à mourir qui sont apparemment de flagrantes violations des mesures de sauvegarde mises en place.
Voilà pourquoi, chers collègues, j’estime que le débat sur l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental porte cette fois-ci beaucoup plus sur les droits et l’autonomie des Canadiens dont la seule condition médicale invoquée est un problème de santé mentale, plutôt que sur des preuves médicales du caractère irrémédiable de la maladie.
Dans son témoignage d’hier devant le Sénat, le ministre Lametti a invoqué à plusieurs reprises l’autonomie comme motif principal pour permettre l’admissibilité à l’aide médicale à mourir à des gens dont la seule condition médicale est la maladie mentale.
De ce fait, nous ne devrions pas nous étonner que le ministre de la Justice, qui est un éminent juriste, décide de se concentrer sur les droits garantis par la Constitution. Par ailleurs, certains arguments en faveur de l’aide médicale à mourir dans les cas où la seule condition médicale invoquée est la maladie mentale sont fondés sur les protections constitutionnelles prévues pour ces patients. Cependant, pour faire écho au sénateur Plett, je souligne que de tels arguments n’ont pas encore été invoqués par les tribunaux, ce que le ministre a reconnu à la période des questions hier.
(1620)
Toutefois, ce qui est curieux, c’est que les défenseurs de l’aide médicale à mourir qui ne sont pas des juristes — ils sont des médecins — appuient de plus en plus leur position sur des arguments juridiques, tels que l’égalité et la non-discrimination, plutôt que sur des preuves médicales du caractère irrémédiable, qui relèvent certainement beaucoup plus de leur expertise que de la nôtre en tant que simples mortels.
Cela me porte à croire que l’approche que nous finirons par adopter à l’égard de l’aide médicale à mourir en général — et nous pouvons être certains que ce projet de loi sur l’aide médicale à mourir n’est pas le dernier dont nous débattrons — mettra davantage l’accent sur le droit des Canadiens de déterminer le moment de leur mort que sur les problèmes de santé qui permettent d’accéder à cette aide.
Il se peut bien que le caractère grave et irrémédiable demeure inscrit dans la loi en tant que critère d’admissibilité officiel à l’aide médicale à mourir. Cependant, comme nous pouvons le voir dans le débat sur l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, l’aide médicale à mourir sera fournie même dans les cas où le caractère irrémédiable est contesté, quoiqu’elle sera assujettie à des mesures de sauvegarde.
Voici ce qui se passera après le 17 mars 2024 : l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental sera examinée au cas par cas. Cependant, comme je l’ai laissé entendre dans ma question aux ministres hier, toute personne voulant obtenir l’aide médicale à mourir cherchera un évaluateur qui est prédisposé à approuver la demande. De toute façon, il est presque certain que tout évaluateur conviendra que certaines maladies mentales sont irrémédiables, sinon il ne serait pas évaluateur.
Du point de vue de l’autonomie, c’est très bien ainsi. Encore une fois, à mon avis, c’est pourquoi je pense que nous allons entendre de plus en plus d’arguments fondés sur l’autonomie et de moins en moins sur les preuves médicales de la gravité et de l’irrémédiabilité d’une maladie.
Vous vous souvenez peut-être qu’hier, j’ai posé aux ministres une question concernant la situation hypothétique d’un patient qui fait une demande et est autorisé à recevoir l’aide médicale à mourir, mais où un autre professionnel de la santé qui connaît le patient, mais qui ne fait pas partie de l’équipe d’évaluation, donne une opinion différente. La question était à savoir si l’opinion différente d’un expert qui ne fait pas partie de l’équipe d’évaluation aurait une incidence sur la décision prise.
Nous n’avons pas obtenu de réponse complète, non pas parce que les ministres tergiversaient, mais parce que nous avons manqué de temps. Cependant, je suis certain que cette situation hypothétique se produira après mars 2024. Je présume que les experts médicaux qui ne font pas partie de l’équipe d’évaluation n’auront pas ou peu de poids dans la décision concernant la demande d’aide médicale à mourir d’un patient. Ainsi, il y aura un parti pris en faveur de l’autonomie personnelle, au détriment des preuves médicales.
Étant donné que le sénateur Kutcher nous a mis en garde contre le recours aux arguments évoquant une pente glissante, je peux lui assurer que je ne tiens pas de propos alarmistes en affirmant que le projet de loi mènera à une avalanche de demandes d’aide médicale à mourir ou que cette procédure est la même chose qu’un suicide. Je suis d’accord avec lui : à court terme, le nombre de Canadiens qui demandent et reçoivent l’aide médicale à mourir continuera de représenter une petite proportion de la population. Cependant, je signale à l’ensemble des sénateurs qu’il y a un changement de paradigme perceptible dans l’argumentaire pour l’aide médicale à mourir — on a d’abord parlé de mort raisonnablement prévisible, puis de problèmes de santé graves et irrémédiables et, enfin, d’autonomie. Nous savons déjà que le critère de mort raisonnablement prévisible ne s’applique plus, mais que le caractère irrémédiable du problème de santé demeure.
Selon les points de vue, l’accent qui est davantage mis sur l’autonomie — en tant que critère principal ou unique dans les décisions sur l’aide médicale à mourir — peut être perçu comme une bonne chose. Il en a été question au Sénat. Je ne parle pas tant de pente glissante que de sables mouvants. Nous ne pouvons pas et ne devrions pas fermer les yeux : nous devons être conscients des courants qui nous transportent et déterminer si nous voulons aller dans cette direction.
Chers collègues, je nous invite tous à réfléchir à cette question avant que le Sénat soit saisi du prochain projet de loi sur l’aide médicale à mourir. Merci.
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends encore une fois la parole au sujet du projet de loi C-39, Loi modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), à titre de porte-parole officielle de l’opposition.
Comme je l’ai indiqué dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, l’aide médicale à mourir demeure l’une des questions les plus complexes et les plus profondément personnelles pour les personnes et les familles de tout le pays. Alors que nous continuons à réfléchir à cette problématique en poursuivant le développement de notre régime d’aide médicale à mourir, il existe un large éventail d’opinions valables dans cette enceinte sur ce que devraient être les paramètres et les garanties appropriés de ce régime.
Cependant, chers collègues, je pense que nous sommes allés trop loin avec la proposition d’inclure les personnes dont la maladie mentale est le seul problème médical évoqué. Je pense que la présentation du projet de loi C-39 est la preuve que nous sommes allés trop loin, trop vite, et qu’il s’agit d’une tentative de mettre en en attente une disposition que nous devrions en fait abroger complètement.
Il s’agit d’un sujet qui suscite l’émotion de beaucoup d’entre nous, mais les faits et les témoignages d’experts doivent rester primordiaux dans cette discussion. Les enjeux sont trop importants.
Bien que peu de choses aient changé depuis ma dernière intervention mardi, je souhaite revenir sur certains échanges qui ont eu lieu lors de la séance en comité plénier d’hier.
La sénatrice Batters, une infatigable défenseure de la santé mentale, a posé une question aux ministres au sujet de leur promesse électorale de 2021 de créer et financer le transfert canadien en matière de santé mentale, qui représente un engagement de 4,5 milliards de dollars sur cinq ans. Comme la sénatrice Batters l’a indiqué, selon la ventilation des coûts faite par le gouvernement lui-même, il aurait déjà dû consacrer 1,5 milliard de dollars aux services de santé mentale, mais, en réalité, il n’a pas dépensé un seul dollar. Les services de santé mentale sont dans un état lamentable au pays, en particulier si on tient compte de l’élargissement proposé.
Le ministre Duclos a répondu ceci : « [...] non seulement nous ne rompons pas cette promesse, mais nous la renforçons. » Je crois que nous devons nous méfier des promesses de financement qu’on présente comme des réalisations, si belles soient-elles, tandis que des Canadiens vulnérables qui éprouvent des difficultés attendent toujours qu’on améliore l’accès aux traitements.
Un thème commun à ce débat, tant ici qu’au comité mixte spécial, est qu’il demeure impossible de prédire le caractère irréversible d’une maladie particulière. Pourtant, les ministres ont rejeté ces préoccupations en déclarant que s’il est impossible d’établir le caractère irrémédiable du problème de santé d’un patient, ce dernier ne pourra pas obtenir l’aide médicale à mourir. Dans les faits, il est impossible de savoir si c’est ce qui va se passer. En étendant l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de maladie mentale, on court toujours le risque que certaines personnes reçoivent le suicide assisté prématurément ou à tort.
Quand le ministre Lametti a été interrogé sur la profonde absence de consensus et sur le malaise parmi les experts en psychiatrie au Canada, il a parlé du groupe d’experts constitué par son gouvernement — qui, bien sûr, n’a pas été nommé pour étudier le bien-fondé de l’élargissement de l’admissibilité, mais pour fournir une feuille de route. Ce que nous savons avec certitude, c’est que les psychiatres sont d’avis qu’on ne peut pas prédire si une maladie mentale a un caractère irrémédiable. Il n’y a pas de consensus sur cette question.
Le ministre Lametti a également tenté de discréditer les statistiques issues des enquêtes menées par l’Association des psychiatres du Canada et l’Ontario Medical Association, en affirmant que les questions étaient basées sur de la désinformation. Ces enquêtes sont accessibles au public, et les questions sont claires et directes.
Par exemple, la statistique de l’Association des psychiatres du Canada à laquelle il a été fait référence était le résultat de la question suivante : les personnes dont le seul trouble de santé invoqué est une maladie mentale devraient-elles être considérées comme admissibles à l’aide médicale à mourir? Je ne pense pas que cela puisse être raisonnablement interprété comme de la désinformation.
Honorables sénateurs, j’ai demandé aux ministres comment ils allaient aborder les questions de la compétence. L’Assemblée nationale du Québec, après une vaste consultation, a déposé le projet de loi 11 et a finalement décidé de ne pas autoriser l’accès à l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental. Interrogé sur cette décision, le ministre Lametti a reconnu l’absence de consensus professionnel dans ce domaine. Malheureusement, il n’a pas été en mesure de fournir une réponse claire sur la manière dont il envisage de gérer cette question, sur la manière dont il peut empêcher une personne de faire appel à un médecin d’une autre province ou d’un autre territoire ni sur les lignes directrices que les cliniciens du Québec devront suivre. Avant d’élargir l’accès à l’aide médicale à mourir, il est impératif que le procureur général du Canada comprenne clairement les considérations relatives à son application dans les provinces et dans les territoires.
(1630)
Par ailleurs, depuis mon intervention de mardi, le sénateur Gold a distribué l’analyse comparative entre les sexes plus qui se penche sur les répercussions éventuelles de cette mesure législative sur les femmes et d’autres groupes vulnérables. La sénatrice Jaffer a également interrogé les ministres à ce sujet.
Bien que cette préoccupation ait été soulevée par plusieurs témoins qui ont comparu devant le comité mixte spécial, j’ai été frappée par les conclusions de ce rapport, sachant que cette analyse a été effectuée par un ministère. L’analyse comparative entre les sexes plus indique ce qui suit :
Dans les pays du Benelux, où l’admissibilité à l’[aide médicale à mourir] ne se limite pas à ceux qui souffrent physiquement, il y a eu des décès par [aide médicale à mourir] controversés, et on peut s’attendre à ce que des cas similaires se produisent au Canada si les critères d’admissibilité étaient semblables. Par exemple, aux Pays-Bas, l’[aide médicale à mourir] a été accordée à une patiente d’une vingtaine d’années qui avait été agressée sexuellement lorsqu’elle était jeune, au motif des souffrances émotionnelles occasionnées à la suite du traumatisme. Il y a également eu des cas de personnes transgenres et de personnes homosexuelles qui ont obtenu l’[aide médicale à mourir] en raison de la souffrance associée à ces aspects de leurs situations.
Le ministère lui-même laisse entendre que nous devrions assister à une augmentation de ce type de cas.
Cette analyse indique également ce qui suit :
On peut s’attendre à ce que, si l’[aide médicale à mourir] était mise à la disposition des personnes dont l’unique trouble est une maladie mentale au Canada, nous constations une augmentation du nombre de femmes qui demandent l’[aide médicale à mourir] pour des souffrances psychiatriques et à un âge plus jeune.
C’est extrêmement troublant. Comme la sénatrice Batters l’a affirmée lorsqu’elle en a parlé aux ministres, hier, à l’occasion de la Journée internationale des femmes : « [...] ce n’est pas exactement le genre d’égalité entre les sexes que nous souhaitons. »
Honorables sénateurs, comment le gouvernement peut-il avoir l’assurance que, dans un an, nous disposerons des données, des ressources et des mesures de sauvegarde nécessaires pour protéger les Canadiens vulnérables aux prises avec la maladie mentale contre une mort prématurée? Rien ne nous indique que, d’ici un an, les problèmes liés à des questions importantes, comme la prévisibilité du caractère irrémédiable et les risques inhérents pour les personnes vulnérables, auront été réglés.
Chers collègues, je suis profondément troublée à l’idée qu’on puisse offrir l’aide médicale à mourir à une personne atteinte d’une maladie mentale dont le caractère irrémédiable est subjectif et sujet à interprétation. Nous débattons de questions de vie ou de mort pour les Canadiens vulnérables. Les experts ne s’entendent pas, mais le gouvernement s’entête à maintenir une décision idéologique, qui mettra assurément la vie des personnes vulnérables en danger alors que pas un seul dollar n’a été investi dans le plan en santé mentale qu’il avait promis.
La vie des Canadiens aux prises avec la maladie mentale n’est pas insignifiante.
Malgré toutes ces préoccupations, je voterai pour le projet de loi C-39, mais à contrecœur. Le délai d’un an est clairement mieux que l’autre solution : un dangereux élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir dès la semaine prochaine. Merci.
Des voix : Bravo!
Son Honneur la Présidente intérimaire : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Des voix : Le vote!
Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)
Projet de loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Cotter, appuyée par l’honorable sénateur Woo, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.
L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, merci d’avoir eu la courtoisie de me permettre d’ajourner le débat pour le reste du temps de parole dont je disposais mardi soir.
Pour poursuivre, c’est avec un grand respect pour son flair en tant que parrain que je tiens à revenir brièvement sur deux affirmations faites par le sénateur Cotter dans son discours.
Premièrement, il a déclaré ceci :
[...] la grande majorité des intervenants de la communauté des personnes handicapées — j’ai compté — sont à l’aise avec la structure du projet de loi dont nous sommes saisis et appuient sans réserve son adoption dans sa version actuelle.
Nous parlons peut-être à des experts en matière de droits des personnes handicapées différents.
Deuxièmement, le sénateur Cotter nous a encouragés à faire confiance au processus du Cabinet et à la ministre Qualtrough pour qu’elle en fasse plus que ce qui est nécessaire, voire que ce qu’il est prévu dans le projet de loi.
Même si je respecte le sénateur Cotter et la ministre Qualtrough et que je sais qu’ils parlent de leurs propres expériences avec les handicaps et qu’ils sont profondément résolus en tant que champions à améliorer la vie des personnes handicapées, je dois remettre en question la sagesse d’une telle marque de confiance pour justifier ce projet de loi.
Les experts en matière de droits des personnes handicapées que j’ai consultés comprennent qu’il est impossible d’obtenir un projet de loi parfait ou une prestation parfaite cette fois-ci. Ils conviennent tous que l’initiative de la ministre Qualtrough doit être menée à bien et aboutir à la meilleure version possible du projet de loi, et que ce dernier doit être adopté au cours de la présente session et qu’il ne doit pas mourir au Feuilleton.
Cependant, leur pragmatisme politique, dicté par la nécessité, ne nous dispense pas de notre devoir d’étudier à fond ce projet de loi et d’y apporter des améliorations essentielles et réalisables.
Oui, il s’agit d’un projet de loi-cadre. Toutefois, c’est davantage un document d’aspirations qu’un cadre axé sur les droits.
Je vais résumer brièvement les omissions et les lacunes flagrantes du projet de loi à l’étude. Il se pourrait qu’il n’aide personne à sortir de la pauvreté. Il n’y a pas de norme minimale prévue dans la prestation. Il n’est pas requis que les règlements — qui sont essentiels pour qu’il y ait des changements positifs — soient prêts au moment où la loi entrera en vigueur. Il ne fixe aucun délai pour le versement des paiements. Des milliers de personnes handicapées ne sont pas admissibles à la prestation à cause de leur âge, ce qui est manifestement discriminatoire. Le projet de loi manque de transparence et, pour cette raison, il ne permet pas d’exiger des comptes parce qu’il rend secrets les processus décisionnels. Le projet de loi offre un ultimatum, pas un choix véritable.
Étant donné ce qui est en jeu, il est troublant que le projet de loi ne fasse pas davantage fond sur les engagements pris par le Canada sur la scène internationale, principalement l’article 28 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, qui s’intitule « Niveau de vie adéquat et protection sociale ».
Utiliser une approche axée sur les droits pour renforcer le projet de loi donnera un cadre législatif plus robuste. Comme nous l’avons vu à l’autre endroit, cela peut se faire sans retarder le processus, si c’est ce que désire le gouvernement.
Nancy Hansen, directrice du programme interdisciplinaire de maîtrise en étude de la condition des personnes handicapées à l’Université du Manitoba, a qualifié cette approche :
[...] [d’] éthique de la charité pour soutenir les Canadiens en situation de handicap [...] une approche largement coloniale de la prestation de services aux personnes en situation de handicap [...] qui maintient ces personnes dans des positions marginales. Il s’agit d’un projet de loi non abouti. C’est mieux que rien, mais on s’attendrait à mieux pour une initiative qu’on ne voit qu’une fois par génération.
De même, la sénatrice Seidman, dans son excellente analyse du projet de loi, a soulevé d’importantes questions concernant la contrainte morale et éthique par rapport à la simple obligation légale à l’égard des personnes en situation de handicap.
Comme l’indique la Convention relative aux droits des personnes handicapées, ces dernières, qui s’identifient également comme membres de groupes minoritaires, font l’objet de « formes multiples ou aggravées de discrimination ».
Le Canada a pris de nombreux engagements pertinents en matière de droits de la personne qui devraient influencer notre examen, alors je n’en citerai que deux autres. Tout d’abord, l’article 25.1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies, qui stipule que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé et son bien-être ». En second lieu, l’objectif numéro 10 de développement durable des Nations unies, qui consiste à réduire les inégalités au sein des pays et entre eux, et le sous-objectif 10.2 qui précise la chose suivante :
D’ici à 2030, autonomiser toutes les personnes et favoriser leur intégration sociale, économique et politique, indépendamment de leur âge, de leur sexe, de leur handicap, de leur race, de leur appartenance ethnique, de leurs origines, de leur religion ou de leur statut économique ou autre. Le principe d’égalité réelle est inscrit sans équivoque dans la Constitution du pays et la Charte canadienne des droits et libertés, et je précise que le préambule du projet de loi C-22 y fait directement allusion.
(1640)
Dans l’arrêt R. c. Kapp, la Cour suprême a réaffirmé le principe d’égalité réelle en disant qu’elle repose sur l’idée que :
« [f]avoriser l’égalité emporte favoriser l’existence d’une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît comme des êtres humains qui méritent le même respect, la même déférence et la même considération » [...]
La situation des personnes handicapées rend la protection de leurs droits fondamentaux au moyen de ce projet de loi particulièrement pressante. En effet, on a observé une augmentation du nombre de demandes d’aide médicale à mourir en réponse aux difficultés liées à la hausse de la pauvreté. Le projet de loi C-22 ne garantit pas aux personnes handicapées de pouvoir sortir de la pauvreté. Il n’offre pas non plus l’assurance que les fonds seront distribués en temps opportun, et, pour le dire franchement, il ne garantit même pas la création de la prestation canadienne pour les personnes handicapées.
La réduction de l’espérance de vie des personnes handicapées à cause de la pauvreté a toujours été une réalité, mais maintenant, l’urgence d’agir est encore plus pressante, car, depuis le mois de mars 2021, le Canada a élargi le régime d’aide médicale à mourir pour qu’on puisse offrir l’aide médicale à mourir à des personnes qui ne sont pas en fin de vie, mais qui souffre en raison de leur handicap et qui répondent aux autres critères d’admissibilité. Les privations sociales et économiques sont si répandues qu’elles ont créé des conditions telles qu’aux yeux de certaines personnes handicapées, la mort peut sembler être la seule façon d’échapper à la pauvreté.
Irek Kusmierczyk, le secrétaire parlementaire de la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes en situation de handicap, a reconnu cette réalité. Voici ce qu’il a déclaré :
Vivre dans la dignité est un fol espoir pour beaucoup d’entre elles, et certaines ont, malheureusement et tragiquement, choisi de demander l’aide médicale à mourir l’année dernière, surtout en raison de la pauvreté. C’est une triste réalité: l’admissibilité à l’aide médicale à mourir s’est étendue plus rapidement que les aides sociales qui sortiraient les personnes handicapées de la pauvreté et qui leur permettraient de vivre dans la dignité.
Catherine Frazee, ancienne commissaire en chef de la Commission ontarienne des droits de la personne et professeure émérite, a décrit ainsi cet aspect alarmant de l’aide médicale à mourir :
On compose le 911, on vous éloigne du rebord et, oui, on vous retient durant votre crise. Au diable l’autonomie. On trouvera le cœur du problème qui vous a engouffré dans la noirceur et on vous en sortira pour aller vers une vie supportable. Si et seulement si votre souffrance est d’origine médicale ou liée à un handicap, il existe une voie spéciale pour accéder à la mort assistée.
Essentiellement, c’est la mort sur demande.
Comme l’a indiqué la sénatrice Miville-Dechêne aujourd’hui, il y a un lien troublant entre l’aide médicale à mourir et un nombre surprenant de personnes handicapées qui affirment clairement vouloir choisir l’aide médicale à mourir parce que, étant contraintes à la pauvreté, elles n’ont plus de dignité ni de qualité de vie.
Voilà pourquoi les aspirations élevées et bienvenues du projet de loi C-22, inégalées par l’offre nécessaire de ressources convenables, mènent les défenseurs des personnes handicapées à nous dire qu’il faut mettre l’accent sur le renforcement du cadre insuffisant de ce projet de loi. Ce n’est pas une question de choix. Les défenseurs ne disent pas qu’il faut insérer tous les détails dans le projet de loi. Ce serait inutile. Ils ne réclament pas non plus un projet de loi excessivement rigide.
La professeure Hansen, la professeure Frazee, les avocats David Lepofsky et Roberto Lattanzio et leurs nombreux collègues sont des experts. Ce sont des défenseurs chevronnés au sein de notre démocratie. Ils n’ont pas le choix. Ils savent pertinemment que la majorité des lois sont peaufinées par la voie de règlements. Ce n’est pas par naïveté qu’ils estiment que des modifications essentielles s’imposent pour que ce cadre apporte réellement des changements positifs à la dure réalité que vivent les personnes handicapées au quotidien.
Pour dire les choses franchement, le projet de loi C-22 est trop vide de substance, trop dénué d’orientation. C’est à peine s’il érige quelques bases sur lesquelles bâtir un cadre solide et durable.
Voici quatre améliorations pratiques claires que le comité pourrait envisager : examiner la question du niveau de vie adéquat et de la protection sociale sous l’angle des droits, conformément à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, dont l’article 28 prévoit que « [l]es États Parties reconnaissent le droit...
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice McPhedran, je suis désolée, mais votre temps de parole est écoulé.
La sénatrice McPhedran : Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de prendre la parole. Meegwetch.
L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-22, Loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées, qui, comme vous le savez, a été adopté à l’unanimité par la Chambre des communes et dont nous débattons maintenant à l’étape de la deuxième lecture au Sénat.
Dans mon discours sur ce projet de loi, je tiens d’abord à rendre hommage à Noah Papatsie, un père, un grand-père et un ancien vidéojournaliste d’Iqaluit, au Nunavut, qui a perdu la vue en 1999 lorsqu’un appareil d’éclairage lui a éclaté au visage. Malgré plusieurs tentatives pour préserver sa vue, M. Papatsie est devenu aveugle au sens de la loi.
Depuis, M. Papatsie défend les droits des personnes handicapées au Nunavut. Il a été conseiller municipal et président de la Société Makinnasuaqtiit pour Nunavummiut ayant un handicap, le seul organisme s’occupant de tous les handicaps au Nunavut. Il a joué un rôle de premier plan dans la fondation de cet organisme, qui tend la main aux diverses communautés du Nunavut, notamment au moyen de consultations communautaires sur les handicaps, l’accessibilité et l’inclusion, d’activités sur le terrain et d’ateliers sur l’employabilité. M. Papatsie siège au conseil d’administration d’Inclusion Canada depuis 2009.
Il était loin d’être simple pour lui de se déplacer à Iqaluit en raison des conditions météorologiques difficiles et de l’absence de trottoir. Ce fut donc toute une victoire pour lui lorsque, en 2014, il a fait l’acquisition de Xeno, le premier chien-guide du Nunavut. Xeno et lui ont d’abord appris à collaborer pendant une période de quatre mois à Ottawa. Malheureusement, Xeno a récemment dû prendre sa retraite en raison de problèmes avec ses pattes, problèmes qui ont certainement été exacerbés par les difficultés associées aux rudes hivers du Nunavut.
M. Papatsie est un porte-parole éloquent des personnes handicapables du Nunavut, où une grande proportion de la population présente des handicaps et où, il m’a dit, 80 % de la population ont une déficience auditive, par exemple. Les Nunavummiuts se heurtent aussi à des obstacles, notamment le manque d’accessibilité dans des lieux publics et le manque de véhicules adaptés.
Il est le porte-parole le plus éminent des personnes handicapables du Nunavut, et il m’a dit qu’il a hâte que le projet de loi C-22 soit renvoyé au comité et qu’il espère que nous conclurons rapidement l’étape de la troisième lecture après, bien sûr, que le projet de loi aura fait l’objet d’un examen attentif au comité. L’autre endroit a adopté plusieurs amendements qui, à mon avis, ont renforcé le projet de loi. C’est maintenant au Sénat de jouer un rôle important pour transformer la vie des personnes handicapées qui vivent dans la pauvreté.
Je crois qu’en examinant le projet de loi, notre comité constatera que bon nombre des membres de la communauté des personnes handicapées sont favorables à ce qu’on procède à la sanction royale aussitôt que possible. Cela permettra au projet de loi C-22 de devenir loi, et au gouvernement, en collaboration avec la communauté des personnes handicapées, de commencer le travail collaboratif visant à établir les règlements du projet de loi C-22.
Selon ce que je sais, de nombreux membres de la communauté — sans doute pas tous — se réjouissent également de l’adoption à l’autre endroit d’un amendement qui engage le gouvernement à travailler directement celle-ci sur l’élaboration des règlements et qui exige que le gouvernement rende compte au Parlement, dans les six mois suivant l’adoption du projet de loi, de la manière dont cela s’est déroulé.
Le projet de loi indique maintenant :
Dans les six mois [...] le ministre dépose à la Chambre des communes un rapport dans lequel il précise la manière dont l’obligation de dialogue et de collaboration auprès de la communauté des personnes handicapées a été mise en œuvre en lien avec l’élaboration des règlements.
J’ai une certaine expérience de ce qu’il ne faut pas faire en matière de codéveloppement en ce qui concerne les questions autochtones. Le projet de loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, celui sur les langues autochtones et le projet de loi C-29 me viennent immédiatement à l’esprit. J’entends toutefois dire de bonnes choses sur l’approche que la ministre Qualtrough — la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes handicapées — et les fonctionnaires ont adoptée jusqu’à présent auprès de la communauté des personnes handicapées. Je suis donc optimiste quant au fait que ce processus peut être et qu’il sera basé sur le respect mutuel du principe souvent vanté, mais pas toujours honoré du « rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous ».
Bien que j’hésite souvent à confier d’importantes décisions de politique publique au processus réglementaire, je pense que l’engagement visant à faire participer la communauté des personnes handicapées à la cocréation des règlements constitue la bonne approche dans cette situation. C’est la bonne approche, oui, mais à condition d’y donner suite correctement. Le gouvernement s’est engagé à mettre en place un tel processus, et j’espère que les gens passionnés et bienveillants de la communauté des personnes handicapées de notre pays, qui attendent depuis si longtemps des progrès et une reconnaissance, lui feront respecter son engagement.
(1650)
Je pense que plus vite le projet de loi C-22 sera adopté par le Parlement, plus vite on pourra commencer à travailler sur les détails de la conception et de la réglementation et entamer des négociations sérieuses avec les provinces et les territoires.
Certains ont exprimé des inquiétudes quant au calendrier de mise en œuvre de ce régime attendu depuis longtemps, mais la réalité, c’est qu’il faudra du temps pour rédiger les règlements et pour mettre en place les systèmes nécessaires à l’administration des prestations. À cet égard, je pense que les amendements adoptés à l’autre endroit ont renforcé le projet de loi. Une disposition exige désormais que la ministre présente au Parlement, dans un délai d’un an, un rapport sur l’état d’avancement du processus réglementaire. En outre, un amendement a été adopté pour mieux clarifier la date d’entrée en vigueur de la loi :
La présente loi entre en vigueur au plus tard au premier anniversaire de sa sanction.
Je pense qu’un an est un délai raisonnable pour que la loi entre en vigueur le plus rapidement possible.
À cet égard, il est encourageant de constater que des amendements ont aussi été adoptés à l’autre endroit pour hâter l’examen parlementaire complet de la loi canadienne pour les personnes handicapées, qui aura lieu non pas aux troisième et cinquième anniversaires de son adoption, mais plutôt à ses premier et troisième anniversaires. Les programmes fédéraux, provinciaux et territoriaux existants devront être passés en revue et étudiés attentivement pour garantir que tous les programmes fonctionnent ensemble, sans récupération des prestations et des aides existantes.
Je suis conscient qu’il s’agit d’une question très importante et hautement complexe au sein de la fédération. Honnêtement, je ne sais pas ce que l’on peut inclure dans le projet de loi fédéral à l’étude pour empêcher les redoutables récupérations de la part des provinces et des territoires. La seule solution consiste peut-être à négocier ce point crucial avec les provinces et les territoires.
Les programmes fédéraux, provinciaux et territoriaux existants devront être passés en revue et étudiés attentivement pour garantir que tous les programmes fonctionnent ensemble, sans récupération des prestations et des aides existantes, et tous les ordres de gouvernement doivent collaborer. Honnêtement, je ne vois pas trop ce que le Sénat pourrait faire de plus avec le projet de loi pour que cela se produise.
Je sais que des discussions ont déjà eu lieu avec les différents ordres de gouvernement sur cette question et, pour qu’il y ait plus de transparence, je suis encouragé par l’amendement adopté à l’autre endroit selon lequel le ministre doit rendre public tout accord conclu avec les provinces et les territoires. Le Canada pourrait peut-être insister pour que ces accords incluent des engagements de non-récupération.
Je crois que, de façon réaliste, cet amendement est probablement le mieux qu’un Parlement fédéral puisse faire pour éviter les récupérations par les provinces et les territoires. À n’en pas douter, il s’agira d’un dossier important pour notre compétent Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
Tout aussi important est le montant de la prestation. Je m’attends à ce que, dans le cadre de son étude, le comité prenne connaissance des préoccupations au sujet de l’incertitude entourant le montant de la prestation sur laquelle porte cet important projet de loi. Je ne vois toutefois pas comment on pourrait déterminer ce montant dans le projet de loi, car ce sera difficile à modifier et à rajuster. Au moins, d’autres amendements adoptés à l’autre endroit prévoient que le montant de la prestation doit être adéquat et que la méthode employée pour le fixer doit tenir compte du seuil officiel de la pauvreté.
Je trouve aussi encourageant qu’un amendement apporté à l’autre endroit exige que la prestation canadienne pour les personnes handicapées soit indexée en fonction de l’inflation. Je sais que certains considèrent que les détails relatifs à l’admissibilité devraient être établis dans le projet de loi et non dans un futur règlement. Cela dit, puisque le projet de loi contient maintenant noir sur blanc l’engagement de faire participer la communauté des personnes handicapées à l’élaboration du règlement, je crois qu’il est préférable que les discussions complexes concernant l’admissibilité, le processus de demande, le montant des prestations et le processus d’appel aient lieu pendant le processus d’élaboration du règlement, étant donné que la communauté des personnes handicapées pourra alors participer aux discussions et aux décisions relatives à ces points complexes, et qu’il faudra des débats et du temps pour arriver à une entente.
Il m’apparaît positif que les amendements adoptés à l’autre endroit aient clarifié certains points. Premièrement, la définition de « handicap » reprend maintenant ce que dit la Loi canadienne sur l’accessibilité, et deuxièmement, le montant de la prestation devra tenir compte du seuil officiel de la pauvreté et être indexé en fonction de l’inflation. Cela déterminera le minimum, j’imagine.
Laissons à la communauté des personnes handicapées et à l’appareil gouvernemental le soin de régler ces détails cruciaux dans un climat de respect, de collaboration et de compromis. Sur ce, j’espère que la deuxième lecture se conclura rapidement et que le projet de loi sera renvoyé bientôt au comité, dans l’espoir que celui-ci puisse accomplir son travail et en faire rapport bien avant l’ajournement d’été. Merci, qujannamiik.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)
Renvoi au comité
Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?
(Sur la motion du sénateur Cotter, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.)
La Loi sur les juges
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Dalphond, appuyée par l’honorable sénateur Harder, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges.
L’honorable Denise Batters : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges. Ce projet de loi modernise le processus disciplinaire applicable à la magistrature fédérale du Canada — processus qui n’a pas été mis à jour depuis 1971. Je ne dirai pas combien de temps s’est écoulé depuis, étant donné que je suis née l’année précédente, mais je dirai simplement qu’une mise à jour s’imposait.
Le processus actuel de discipline de la magistrature présente quelques lacunes importantes que le projet de loi C-9 vise à corriger. Tout d’abord, le processus est lourd et inefficace : les multiples possibilités de révision judiciaire combinées au fait que le salaire et la pension d’un juge continuent à s’accumuler tout au long du processus de révision le rendent sujet à des retards et à des abus potentiels. Deuxièmement, la durée des multiples révisions judiciaires et les retards qui en découlent augmentent les coûts pour les contribuables canadiens, qui doivent payer la note pour l’ensemble du processus. Le projet de loi C-9 prévoit des dispositions pour remédier à ces problèmes importants. En outre, il prévoit une plus grande participation du public au processus disciplinaire grâce à l’inclusion de non-juristes dans les comités d’audience. Bien que le gouvernement doive toujours s’efforcer d’accroître la transparence, ce projet de loi constitue un pas important vers l’amélioration de la confiance du public dans le système judiciaire.
À ce stade, honorables collègues, il semble que le projet de loi C-9 soit relativement peu controversé : la Chambre des communes l’a adopté à l’unanimité.
Vous vous souviendrez peut-être également que ce n’est pas une première pour le Sénat. En effet, une version similaire de ce projet de loi — presque identique —, a été présentée au Sénat sous le numéro S-5 en mai 2021. À l’époque, j’avais interrogé le parrain du projet de loi, le sénateur Dalphond, sur les raisons pour lesquelles un tel projet de loi, qui contenait des dispositions d’ordre financier, était présenté au Sénat du Canada.
Bien entendu, le gouvernement Trudeau n’était pas d’accord et le projet de loi est resté au Feuilleton, sans être modifié, jusqu’à ce que le gouvernement déclenche des élections inutiles à l’été 2021. Après ces élections, le gouvernement a présenté de nouveau le projet de loi au Sénat, cette fois sous le numéro S-3. À l’époque, le président de la Chambre des communes a exprimé la même préoccupation que moi concernant le fait qu’un projet de loi renfermant des dispositions d’ordre financier soit présenté au Sénat.
Curieusement, le gouvernement Trudeau semble plus disposé à accepter les propositions des sénateurs libéraux que des sénateurs conservateurs.
Finalement, en décembre 2021, le gouvernement a présenté de nouveau ce projet de loi — comme il se doit cette fois-ci —, à la Chambre des communes, sous le numéro C-9. Il l’a ensuite laissé moisir pendant près d’un an, jusqu’à la fin de 2022, lorsqu’il a été modifié par le comité de la Chambre, adopté à l’unanimité par la Chambre des communes, puis renvoyé au Sénat pour faire l’objet d’un débat juste avant que celui-ci ne s’ajourne en décembre. C’est après ce long parcours que ce projet de loi nous est maintenant confié.
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Pour bien comprendre les changements apportés au nouveau processus proposé dans le projet de loi C-9, il est important d’examiner d’abord comment fonctionne le système disciplinaire relatif à la conduite des juges à l’heure actuelle. Actuellement, toute personne peut soumettre une plainte contre un juge nommé par le fédéral en communiquant avec le Conseil canadien de la magistrature. On m’a informée que, bon an mal an, le conseil reçoit environ 600 plaintes, que seulement une poignée de ces plaintes mènent à une enquête et qu’une ou deux sont soumises à un comité d’enquête. À ce jour, aucun juge n’a été révoqué, mais quatre juges ont démissionné après que leur révocation eut été recommandée.
Le Conseil canadien de la magistrature reçoit la plainte et un de ses membres l’étudie afin de déterminer si elle est justifiée. Si elle ne l’est pas, la plainte est rejetée. Si elle semble assez sérieuse pour justifier la révocation du juge, la plainte est envoyée au comité d’examen formé de trois membres du conseil, qui comprend des juges en chef, des juges en chef adjoints et un juge puîné — un juge qui n’est ni juge en chef ni juge en chef adjoint —, ainsi qu’un profane qui n’a jamais été avocat ou juge. Le comité d’examen détermine si la plainte est assez sérieuse pour justifier l’éventuelle révocation du juge. Si c’est le cas, le comité d’examen renvoie la plainte au comité d’enquête, formé en majorité de juges du Conseil canadien de la magistrature, mais aussi d’avocats choisis par le ministre de la Justice.
À l’issue de l’audition de la commission d’enquête, celle-ci remet un rapport au Conseil plénier, un groupe composé d’au moins 17 membres du Conseil canadien de la magistrature, voire d’autant de membres qu’il y en a de disponibles. Le rapport du Conseil plénier doit faire l’objet d’un consensus de la part de la majorité du Conseil canadien de la magistrature, qui recommande la révocation du juge au ministre de la Justice. Le ministre recommande alors la révocation du juge à chaque Chambre du Parlement fédéral pour la soumettre à un vote.
Dans le système actuel, le juge concerné peut faire appel pour obtenir un contrôle judiciaire des décisions de la commission d’enquête et des recommandations de révocation, d’abord devant la Cour fédérale, puis devant la Cour d’appel fédérale et, enfin, devant la Cour suprême du Canada, avec l’autorisation de celle-ci. Bien entendu, chaque niveau d’appel retarde la résolution de l’affaire et coûte de plus en plus cher, les frais étant assumés par les contribuables canadiens pour l’ensemble de la procédure.
Les processus disciplinaires exigeant la révocation d’un juge sont assez rares. En fait, aucun juge fédéral n’a jamais été révoqué, la plupart d’entre eux choisissant plutôt de démissionner avant d’en arriver là. Néanmoins, le gouvernement a été incité à modifier le système d’appel en raison de cas très médiatisés de violation du processus actuel de contrôle judiciaire.
Un cas récent est celui du juge de la Cour supérieure du Québec, Michel Girouard. En 2012, le juge Girouard a fait l’objet de plaintes, dont certaines ont mené à la recommandation de son congédiement. Il a porté sa cause en appel par la voie du processus de contrôle judiciaire, puis auprès de la Cour fédérale et de la Cour d’appel, pour finalement démissionner en 2021, lorsque la Cour suprême a rejeté sa demande d’en appeler encore de la décision et que le ministre de la Justice a exprimé son intention de demander au Parlement d’approuver sa révocation. En tout, le processus a duré neuf ans, et on estime qu’il a coûté 4 millions de dollars aux contribuables canadiens. Tout au long de ces appels, le juge a continué de toucher son salaire et d’accumuler des gains ouvrant droit à pension.
En 2022, le gouvernement a modifié les règles pour l’accumulation des prestations de retraite des juges au moyen du projet de loi C-30, loi d’exécution du budget. Ainsi, les juges ne peuvent plus continuer de toucher leur pension pendant qu’ils contestent une recommandation de révocation du Conseil canadien de la magistrature. Les prestations prendraient fin le jour où le conseil recommande la révocation du juge au ministre. Il s’agit là d’une nette amélioration qui aidera à éviter les cas tels que celui du juge Girouard à l’avenir.
Le projet de loi C-9 supprime cette disposition pour modifier la date de fin. En effet, selon cette mesure législative, le juge n’aurait plus droit à sa pension à partir du jour où un comité d’audience plénier l’informe de sa décision de recommander sa révocation. Bien sûr, cette nouvelle disposition ne s’appliquerait pas si la Cour suprême du Canada annule la décision du comité d’audience plénier, si le ministre décide de ne pas révoquer le juge, ou si la Chambre des communes ou le Sénat vote contre la révocation du juge en question.
Voici le nouveau processus disciplinaire de la magistrature, tel qu’il est décrit dans le projet de loi C-9. Tout d’abord, un agent de contrôle au Conseil canadien de la magistrature détermine si la plainte est dénuée de tout fondement. Dans l’affirmative, la plainte est rejetée. Si elle n’est pas dénuée de fondement, elle fait l’objet d’un examen initial par un membre du Conseil canadien de la magistrature. Ce membre détermine si la plainte doit être renvoyée à un comité d’examen, qui est composé d’un membre du Conseil, d’un juge puîné et d’un avocat. Si ce comité détermine qu’un juge doit être révoqué, l’affaire est ensuite soumise à un comité d’audience publique, qui est composé de cinq membres : deux membres du Conseil, un juge puîné, un avocat et un non-juriste. Si la plainte ne justifie pas la révocation, elle est rejetée ou, si elle mérite des sanctions inférieures à la révocation, le comité d’examen peut exprimer des préoccupations publiquement ou confidentiellement; donner un avertissement publiquement ou confidentiellement; prononcer une réprimande publiquement ou confidentiellement; réclamer des excuses publiques ou confidentielles; ordonner au juge en cause de prendre des mesures spécifiques, notamment suivre une thérapie ou participer à de la formation; ou, avec le consentement du juge en cause, prendre toute autre mesure qu’il estime indiquée. Le juge en cause peut interjeter appel de la plainte devant un comité d’audience restreint.
Le comité d’audience restreint est constitué de trois membres : un membre du Conseil, un juge puîné et un avocat. Si le comité d’audience restreint conclut que la révocation du juge en cause pourrait être justifiée, il renvoie la plainte au Conseil en vue de la constitution d’un comité d’audience plénier. Le comité d’audience restreint peut aussi rejeter la plainte ou recommander d’autres mesures disciplinaires. La décision du comité d’audience restreinte — ou la plus grande partie possible de la décision — est rendue publique. Le comité d’audience plénier fonctionne à peu près de la même manière. Que le comité compte trois ou cinq membres, sa décision peut être portée en appel devant un comité d’appel constitué de trois membres du Conseil et de deux juges puînés. La décision de ce comité peut éventuellement être portée en appel, sous réserve de l’obtention d’une autorisation d’appel auprès de la Cour suprême du Canada.
Un article paru ce matin dans les médias nationaux a pu donner l’impression que le ministre de la Justice n’a pas de rôle à jouer dans le cadre du processus réformé prévu par le projet de loi C-9. Permettez-moi de vous assurer que ce n’est pas le cas et que l’article a été corrigé. Si un comité d’audience plénier recommande la révocation d’un juge, il rédige un rapport qu’il envoie au ministre de la Justice. Le ministre de la Justice doit répondre publiquement et, s’il décide de recommander la révocation du juge, il soumet la question au vote de la Chambre des communes et du Sénat avant de recommander la révocation au gouverneur général. Pour ceux qui s’interrogent sur l’annonce récente d’une plainte portée contre le juge de la Cour suprême Russell Brown, je tiens à préciser que l’affaire se déroulera dans le cadre de l’actuel régime disciplinaire de la magistrature, et non du nouveau régime, puisque le projet de loi C-9 n’a pas encore force de loi.
Quoi qu’il en soit, comme je l’ai mentionné précédemment, le Comité de la justice de la Chambre des communes a amendé le projet de loi C-9. Ces amendements permettent au plaignant d’obtenir une explication écrite des raisons pour lesquelles sa plainte a été rejetée, soit par un membre chargé de l’examen, soit par la commission d’examen, selon les circonstances. Ces changements introduisent une plus grande transparence dans la procédure de plainte contre la magistrature, augmentant ainsi la confiance du public dans l’équité du système.
La réforme du processus disciplinaire de la magistrature qui est proposée dans le projet de loi C-9 vise à corriger des lacunes considérables dans l’ancien régime. Premièrement, on propose des recours supplémentaires pour les cas d’inconduite qui ne sont pas suffisamment graves pour justifier la révocation d’un juge. Cela assouplit le processus disciplinaire tout en permettant de prendre des mesures correctives dans les cas dont la gravité est moindre. Deuxièmement, en réduisant le nombre de possibilités de contrôle judiciaire au cours du processus, on pourra empêcher que des procédures d’appel coûteuses se multiplient et s’étirent sur plusieurs années, comme nous l’avons vu par le passé.
Je crois que ce projet de loi mérite d’être appuyé en grande partie, mais j’ai un certain nombre de questions et de préoccupations, et je crois que les parlementaires devraient y faire attention. Le nouveau régime remplacerait le conseil plénier par un comité d’appel plus petit. Je comprends que cette mesure vise à rendre le processus plus simple et plus efficace, et je comprends ces objectifs, mais je dirais que nous devrions procéder avec prudence. La révocation d’un juge est une décision très sérieuse qui doit être étudiée avec soin. J’écouterai avec intérêt ce que les témoins auront à dire au Comité sénatorial des affaires juridiques afin de savoir si, selon eux, ce changement en particulier permettra de protéger suffisamment les droits des juges qui seront soumis à ce processus.
J’ai aussi des questions au sujet des sanctions qui, outre la révocation, peuvent être imposées à un juge en cas d’inconduite judiciaire. Selon le nouveau processus, ces autres sanctions pourraient inclure l’expression de préoccupations, un avertissement, une réprimande, l’obligation de présenter des excuses, une formation, une thérapie ou de la formation continue, mais le projet de loi C-9 ne prévoit pas la suspension temporaire d’un juge ou la retenue de son salaire.
J’ai d’autres réserves au sujet des consultations. Il semble que les consultations publiques concernant ces changements au système disciplinaire de la magistrature ont été menées il y a assez longtemps. En fait, elles ont débuté en 2016, lorsque le ministère de la Justice a affiché un sondage en ligne sur son site Web, puis procédé à l’examen de la correspondance envoyée par le public concernant le processus disciplinaire de la magistrature. Cela ne ressemble pas à une consultation publique rigoureuse.
Le gouvernement a aussi consulté de nombreux intervenants du système judiciaire, dont le Conseil canadien de la magistrature, l’Association canadienne des juges des cours supérieures, la Fédération des ordres professionnels de juristes, Conseil des doyens et doyennes des facultés de droit du Canada, l’Association du Barreau canadien, les provinces et les territoires, ainsi que les avocats qui s’étaient déjà retrouvés d’un côté et de l’autre du processus disciplinaire de la magistrature. Le ministère a aussi reçu des mémoires du Barreau du Québec et de l’Association canadienne pour l’éthique juridique. En ce qui concerne les consultations auprès des provinces et des territoires, j’aimerais bien savoir à quel moment elles ont eu lieu, car beaucoup de gouvernements ont changé ces dernières années.
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Pourtant, après toutes ces consultations, je trouve étrange que le gouvernement n’ait pas pensé à consulter l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels ni aucun autre représentant faisant entendre les préoccupations des victimes d’actes criminels, dans le cadre de l’étude de ce projet de loi. Dans les années passées, nous avons vu certains juges déclencher des tollés à la suite de leurs commentaires et leurs attitudes à l’égard des victimes d’actes criminels, en particulier les plaignants dans les affaires d’agression sexuelle. Vous vous rappelez peut-être des scénarios qui ont mené mon ancienne collègue du caucus conservateur et cheffe intérimaire du Parti conservateur, Rona Ambrose, à présenter son projet de loi visant à améliorer la formation des juges dans ce domaine, une initiative dont je suis aujourd’hui fière de dire qu’elle a force de loi au Canada.
Pourtant, les consultations sur le projet de loi C-9 nous montrent que le gouvernement Trudeau a une fois de plus omis la voix des victimes d’actes criminels dans le processus. Cela devrait être un réflexe que d’inclure des victimes d’actes criminels dans les consultations sur des questions ayant un impact sur le système de justice pénale. Manifestement, ce n’est pas le cas pour le gouvernement actuel. Le traitement des victimes d’actes criminels dans la salle d’audience et tout au long de leur interaction avec le système judiciaire a un effet direct et important sur la confiance du public envers le système de justice.
Évidemment, je ne peux pas rater l’occasion de discuter d’un autre facteur qui mine la confiance du public envers le système judiciaire : l’incapacité du gouvernement Trudeau à nommer des juges sans délai. Ce problème a une énorme incidence sur les retards du système de justice pénale. Après l’arrêt Jordan, que la Cour suprême a rendu en 2016, des accusations criminelles sérieuses ont été abandonnées en raison des longs délais judiciaires.
En octobre dernier, j’ai posé au ministre Lametti une question au sujet du nombre effarant de postes vacants dans la magistrature à l’époque. Il a tenté de balayer la critique du revers de la main en disant : « [...] nous nommons des juges plus rapidement et il y aura de nouvelles nominations prochainement. » Le 1er mars, cinq mois après que j’ai posé cette question, le nombre est toujours à peu près le même. On compte toujours 86 postes vacants au sein de la magistrature canadienne.
Parmi les facteurs qui contribuent aux délais judiciaires, la nomination de juges est le seul qui dépende entièrement du gouvernement fédéral. Le gouvernement Trudeau fait preuve d’une négligence éhontée dans ce domaine, négligence qui a de réelles conséquences pour la population canadienne. Comme je l’ai dit, des poursuites criminelles graves ont dû être abandonnées à cause de délais judiciaires considérables. Le manque de juges ajoute aussi à l’incertitude des Canadiens qui ont des dossiers à traiter dans des tribunaux autres que les tribunaux pénaux, par exemple pour la garde légale des enfants, des différends concernant une assurance ou d’autres genres de conflits judiciaires qui peuvent avoir une incidence importante sur leur vie, leur famille, leur résidence, leur emploi et leur santé. Les délais judiciaires font grimper les coûts et empêchent les Canadiens qui ont des affaires judiciaires à régler de passer au prochain chapitre de leur vie. Parce que le gouvernement Trudeau ne nomme pas assez de juges, les Canadiens sont moins convaincus d’avoir un système de justice équitable.
En fin de compte, honorables sénateurs, les Canadiens doivent pouvoir faire confiance au système judiciaire. Les juges canadiens ont, à juste titre, la réputation de compter parmi les meilleurs juristes de la planète. Nous devons les soutenir et, pour ce faire, moderniser le processus relatif à la conduite des juges de manière à accroître la reddition de comptes et la transparence pour toutes les personnes concernées. Ce sera un plaisir d’étudier davantage le projet de loi en comité et d’obtenir la réponse à des questions importantes. Merci.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Des voix : Le vote!
Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)
Renvoi au comité
Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?
(Sur la motion du sénateur Gold, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.)
Projet de loi sur les nouvelles en ligne
Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Harder, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice Bellemare, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada.
L’honorable Donna Dasko : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-18, Loi sur les nouvelles en ligne, à l’étape de la deuxième lecture. Ce projet de loi m’intéresse au plus haut point. J’aime les journaux depuis mon plus jeune âge. J’ai grandi avec le Winnipeg Free Press, qui vient de fêter son 150e anniversaire, et j’ai ajouté toute une série de journaux à ma liste de lectures incontournables dans les années qui ont suivi. Au cours de ma carrière dans le domaine de l’opinion publique, j’ai eu le plaisir de travailler avec le Globe and Mail pour diriger leur tout premier programme de sondages d’opinion. Plus tard, j’ai également dirigé des sondages pour la CBC pendant de nombreuses années. J’ai donc appris certaines choses sur le journalisme et le milieu des médias en cours de route.
Avec le projet de loi C-18, nous apprenons que le milieu des médias d’information est en difficulté et que le gouvernement veut maintenant régler le problème. La raison d’être du projet de loi C-18 est la suivante : les plateformes numériques qui diffusent au public les nouvelles que produisent les organismes de presse n’indemnisent pas ceux-ci de manière équitable pour ces nouvelles. Ainsi, le projet de loi C-18 exigerait que les principales plateformes numériques concluent des ententes avec les entreprises de nouvelles afin de les rémunérer pour les informations qui sont communiquées sur leurs plateformes. Les entreprises de nouvelles concernées comprennent les médias d’information, les journaux et les revues d’information en ligne, les radiodiffuseurs publics et privés et les entreprises locales qui publient du contenu original de nouvelles en ligne.
Bien qu’aucune plateforme ne soit mentionnée spécifiquement, Google et Facebook seraient les plateformes admissibles selon les critères établis. Si des ententes volontaires sont conclues entre des plateformes et des médias d’information dans certains délais et conformément à certains critères, ces plateformes numériques seront exemptées de la partie contraignante de la loi, qui consiste à entamer un processus de négociation officiel pouvant mener à l’arbitrage de l’offre finale. Le CRTC se chargera notamment d’élaborer un code de conduite afin d’orienter le processus de négociation et de déterminer si les ententes conclues satisfont aux conditions d’exemption.
Ce projet de loi est complexe. Après avoir passé au crible des documents gouvernementaux, avoir lu des coupures de presse et avoir discuté avec des parties prenantes, je peux l’analyser au mieux en classant ses parties dans deux catégories : les parties qui me semblent logiques et les parties qui laissent de nombreuses questions sans réponse. Une grande partie du contexte et de l’historique mentionnés est logique. Deux hypothèses sont particulièrement pertinentes : premièrement, les médias d’information sont une composante essentielle d’une démocratie et, deuxièmement, l’évolution technologique a changé la façon dont les nouvelles sont consommées et distribuées au pays, ce qui a laissé les médias d’information canadiens dans un état vulnérable.
La démocratie repose sur des élections libres et équitables, un système judiciaire indépendant, la primauté du droit et des médias libres et indépendants. Les démocraties du monde entier étant menacées, je pense que nous devons être plus vigilants que jamais à l’égard de nos institutions démocratiques. Des médias libres et indépendants sont essentiels pour tenir des enquêtes et des analyses, ainsi que pour informer et mobiliser les Canadiens dans l’espace public. La deuxième hypothèse est bien connue : la technologie numérique a changé à jamais les médias dans notre pays.
Commençons par la publicité. Un rapport de Statistique Canada datant de 2021 et portant sur les éditeurs de journaux au Canada a révélé que les recettes d’exploitation des éditeurs de journaux canadiens ont chuté à 2,1 milliards de dollars en 2020, soit une baisse de 22 % par rapport à 2018. La baisse des recettes a inévitablement entraîné des fermetures et des pertes d’emplois. Plus de 469 organes de presse ont fermé entre 2008 et 2022, dont plus de 300 journaux locaux, et un tiers des emplois dans le secteur du journalisme ont disparu depuis 2010.
L’autre côté de la médaille, c’est que la part des revenus publicitaires d’Internet augmente alors que celle des journaux et des autres médias est en chute libre. En 2005, Internet détenait seulement 8 % des parts du marché des revenus publicitaires au Canada. En 2015, cette proportion avait grimpé à 37 % alors que les parts du marché des autres catégories avaient diminué, surtout celles des quotidiens, qui étaient passées de 26 % à 12 %.
Les documents d’information du gouvernement présentent des estimations selon lesquelles les recettes de publicité numérique de Google et Facebook s’élevaient à 9,7 milliards de dollars au Canada en 2021. Cela représente 80 % du total des recettes de publicité numérique, évalué à 12 milliards de dollars.
Chacun sait pourquoi la publicité s’est déplacée dans l’univers des plateformes en ligne. C’est là où les consommateurs se tournent maintenant pour trouver, lire et partager de l’information. Aujourd’hui, le cyberespace comprend tout un éventail de choix, y compris les nouveaux médias, les médias traditionnels et les médias sociaux.
Il est important de comprendre que les consommateurs canadiens demeurent très intéressés par les nouvelles et qu’ils n’ont pas abandonné les sources traditionnelles d’information, même s’ils ont développé l’habitude de consulter l’information en ligne. Selon un sondage Maru effectué l’année dernière, 86 % des Canadiens consultent les nouvelles chaque jour. Selon un sondage Reuters effectué dans 46 pays, 77 % des Canadiens avaient utilisé Internet au cours de la dernière semaine comme source d’information. Dans cette étude, les principales sources de nouvelles sont essentiellement les mêmes, qu’elles soient consultées en ligne ou hors ligne. Pour les médias anglophones du Canada, les principales sources d’information sont CTV, CBC et Global News. Du côté francophone, ce sont TVA et Radio-Canada. Cela dit, l’étude montre que si 56 % des Canadiens écoutent des nouvelles télévisées pendant la semaine, seulement 16 % d’entre eux lisent un journal imprimé.
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En ce qui concerne les comportements des consommateurs, un sondage Abacus commandé par Google en 2022 indique que 64 % des Canadiens affirment utiliser cette plateforme pour consulter des nouvelles au moins quelques fois par semaine et 41 % d’entre eux le font tous les jours. Ces données confirment l’importance des plateformes en tant que sources d’information pour les Canadiens.
En passant, j’aurais souhaité que le gouvernement s’appuie sur une analyse plus en profondeur des comportements des consommateurs pour rédiger le projet de loi. Je reviendrai toutefois sur ce sujet à une autre occasion.
Je crois qu’on peut démontrer de façon convaincante que les médias canadiens ont besoin d’aide pour remplir d’importantes fonctions démocratiques qui ont été affaiblies en raison de pertes financières année après année. À mon avis, il est justifié d’établir une politique publique pour cette raison. C’est toutefois là que naissent mes questions sur le projet de loi C-18.
Commençons par le choix de ce cadre stratégique. J’aimerais en savoir plus sur les raisons pour lesquelles le gouvernement a choisi cette solution particulière plutôt que de modifier ou de développer des mécanismes d’intervention existants qui sont plus familiers à cette industrie. La création d’un fonds d’aide aux organisations, par exemple, comme le Fonds des médias du Canada, aurait été plus simple. Au lieu de cela, les plateformes rentables devront indemniser directement les sources d’information par le biais d’un processus très inhabituel.
Par ailleurs, on pourrait s’interroger sur les critères d’admissibilité des entreprises de presse. Nos collègues de l’autre endroit, par l’entremise d’un amendement, ont considérablement élargi le nombre d’entreprises de presse qui pourront participer à cette politique, de 200 environ à plus de 650. C’est une évolution positive que d’inclure des organisations plus petites et plus diversifiées, mais cela soulève également des questions. Toutes ces organisations pratiquent-elles un vrai journalisme, avec un vrai contenu d’information et de vraies pratiques journalistiques? Quel sera l’organe chargé d’enquêter sur ces pratiques, si tant est qu’il y en ait un?
Il semble également que ces organisations n’auront pas besoin de contenu en ligne pour être admissibles. Dans ce cas, comment les plateformes numériques peuvent-elles bénéficier de leur contenu à des fins de paiement? C’est l’objet même du projet de loi. Par ailleurs, si nous triplons le nombre d’organisations, cela signifiera-t-il qu’il y aura moins de soutien pour tout le monde au bout du compte ou que les plateformes devront débourser plus d’argent?
Une autre question concerne la base des négociations entre les parties, c’est-à-dire entre les plateformes et les médias. Quels sont les éléments à considérer? Le gouvernement s’est fortement appuyé sur la notion de rémunération équitable. Il veut s’assurer que les grandes plateformes numériques rémunèrent équitablement les éditeurs de nouvelles pour leur contenu et il souhaite rendre le marché canadien de l’information numérique plus équitable, avec l’appui du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le CRTC, et de l’arbitrage.
Le terme « équité » est utilisé à plusieurs reprises dans ses communications, mais qu’en est-il au juste? Nous savons que les médias d’information eux-mêmes tirent des revenus importants de la distribution de leur contenu, mais cela entre-t-il en ligne de compte et, le cas échéant, dans quelle mesure? Au final, la rémunération est-elle uniquement basée sur des mesures effectuées par le média d’information et si oui, lesquelles? S’agit-il du volume de son contenu en ligne? S’agit-il du nombre de personnes qui le consultent en ligne? S’agit-il d’un pourcentage de ses dépenses consacrées aux contenus d’information? Certains ont proposé 20 %. D’autres ont proposé de 30 à 35 %. La rémunération tient-elle compte des mesures effectuées par la plateforme, comme le volume de l’activité associé au média sur la plateforme ou les revenus de cette dernière? Je pense que nous devons mieux comprendre ce mécanisme car il influence directement les résultats et l’atteinte des objectifs stratégiques.
J’ai d’autres questions sur le caractère réalisable des négociations. Comment les petits journaux régionaux parviendront‑ils à se faire entendre dans le cadre des négociations dont les enjeux seront importants qui auront lieu en vertu du projet de loi C-18? Au bout du compte, les grandes entreprises traditionnelles en sortiront‑elles gagnantes au détriment des autres?
Chers collègues, ce n’est pas tout, on s’attend des plateformes qu’elles :
[...] assurent qu’une partie convenable de l’indemnisation soit utilisée par les entreprises de nouvelles pour soutenir la production de contenu de nouvelles [...]
Je veux comprendre comment cela sera mis en œuvre.
Il y a beaucoup d’autres questions pertinentes, mais, au bout du compte, je me demande si cette initiative sauvera l’industrie. J’espère que nous obtiendrons des réponses à certaines de ces questions au comité.
Il y a de nombreux bons éléments dans le projet de loi C-18. Il a l’appui des intervenants des industries médiatiques, notamment celui de petits et grands journaux et de diffuseurs. Je vois aussi que la population canadienne appuie certains des principes du projet de loi.
Par exemple, un sondage mené l’année dernière par Pollara pour News Media Canada montre que 79 % des Canadiens considèrent que Google et Facebook devraient partager une partie des revenus tirés de la publication du contenu de nouvelles canadiennes avec les organes de presse d’où proviennent les articles.
Tant qu’à parler de sondage, celui qu’Abacus Datapoll a mené pour Google et dont j’ai parlé plus tôt indiquait que les deux tiers des Canadiens ne veulent pas que la recherche dans Google soit modifiée lorsque le projet de loi C-18 entrera en vigueur. Pourtant, il y a deux semaines à peine, Google a testé le blocage du contenu de nouvelles en réponse au projet de loi. Cette entreprise fait exactement le contraire de ce que les Canadiens veulent d’après le sondage qu’elle a commandé.
Chers collègues, on ne s’ennuie jamais lorsqu’on travaille à ces dossiers, et on ne s’ennuie jamais au Comité sénatorial permanent des transports et des communications. De toute évidence, il y a beaucoup de questions et de dossiers importants qu’il faut examiner relativement au projet de loi C-18. J’attends avec impatience les nombreuses semaines d’étude et de débats au comité et ici, au Sénat, où le projet de loi C-18 fera l’objet d’un second examen objectif, un examen grandement nécessaire.
Merci, thank you.
L’honorable Colin Deacon : Honorables sénateurs, le débat entourant le projet de loi C-18, Loi sur les nouvelles en ligne, a pris un virage le 22 février. Ce jour-là, l’entreprise Google a confirmé qu’elle effectuait des essais en vue de « limiter la visibilité des nouvelles canadiennes et internationales, à divers degrés ».
En réponse à des questions au sujet de comportement, Google nous a assuré que moins de 4 % des utilisateurs canadiens seront touchés par ces essais aléatoires. Étant donné qu’on estime que 92 % des Canadiens utilisent Google et que l’utilisateur moyen consulte le moteur de recherche de trois à quatre fois par jour, l’assurance — ou la menace — de Google laisse entendre que plus de 1 million de Canadiens ont ou auront un accès réduit aux nouvelles canadiennes plusieurs fois par jour pour la durée de cet essai. De quel million de Canadiens s’agit-il? Je me le demande.
Je n’arrive pas à comprendre pourquoi Google a fait cela. Le débat à l’étape de la deuxième lecture venait tout juste de commencer. Des doutes quant à l’efficacité du projet de loi ont été soulevés dans les premiers discours. Au lieu de contribuer de manière constructive au débat, Google a asséné un coup de semonce au processus législatif du Canada et, je dirais même, à notre souveraineté. Si c’est ainsi que Google négocie avec un pays du G7, je peux seulement imaginer comment l’entreprise négocie avec nos organes de presse, dont le nombre diminue de plus en plus et dont le poids ne cesse de s’affaiblir. À tout le moins, Google a simplement démontré qu’à l’heure actuelle, les lois et les règlements en vigueur au Canada la laissent libre de manipuler les résultats de recherche qu’obtiennent les Canadiens lorsqu’ils consultent son moteur de recherche pour accéder à de l’information et à des nouvelles. Or, évidemment qu’une manipulation se fait. Cela vaut pour tous les services fondés sur des algorithmes.
Assez récemment, au Sénat, un collègue a fait valoir que :
Les algorithmes, tel que s’en servent les plateformes, sont une forme de calcul. Les algorithmes suivent nos habitudes et ils privilégient, dans leur système, ce que nous voulons regarder.
Google vient d’invalider cette affirmation de manière très efficace. Ce sont les géants du Web qui décident ce que peuvent voir les Canadiens, et tous les autres utilisateurs, sur leur plateforme. Penser que la visibilité du contenu n’est pas accrue ou réduite, ou qu’il n’y a pas de substitution en fonction de la rentabilité pour la plateforme serait naïf. Ces plateformes font exactement ce qu’elles doivent faire pour leurs actionnaires : maximiser la valeur de leurs actifs. Ce sont des entités commerciales, pas des services publics. Leur rôle n’est pas de servir le public, mais de lui offrir un service qu’il apprécie, puis d’en tirer le plus d’argent possible. Ces plateformes remplissent leur rôle.
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Quant à nous, nous devons nous assurer d’optimiser le bien-être du public et l’utilité des services, ainsi que de réduire au minimum les préjudices individuels ou collectifs pouvant en découler.
Google vient de montrer pourquoi l’adoption d’une approche fragmentée pour prévenir les préjudices et créer des débouchés à l’ère numérique ne suffit pas. Google a aussi montré pourquoi il est urgent d’adopter une approche pangouvernementale si on désire que les Canadiens prospèrent pendant cette ère numérique. Nos lois structurelles, comme celles sur la protection des renseignements personnels et la concurrence, ainsi que d’innombrables politiques et règlements à l’échelle du gouvernement ont été conçus dans et pour le monde analogique. Ces mesures législatives sont dépassées à l’heure où le monde fonce à toute vitesse dans l’ère numérique.
En l’absence de ces changements structurels, le projet de loi C-18 est une solution imparfaite, mais qui pourrait être utile à court ou moyen terme. C’est comme donner des béquilles à une personne dont la jambe est cassée. Le travail n’est pas terminé tant qu’on ne plâtre pas la jambe pour qu’elle puisse guérir.
Je penche vers l’adoption du projet de loi C-18 parce que ce serait une mesure utile à court terme qui pourrait ralentir l’effondrement des médias d’information au Canada, et même maintenir leur viabilité. Cependant, je suis loin d’être convaincu qu’elle offre une solution permanente qui permettrait au journalisme d’être à nouveau florissant.
Afin d’expliquer pourquoi le projet de loi C-18 n’est probablement pas suffisant en soi, j’ai décidé d’explorer la concurrence à l’ère numérique. Examinons le concept d’« abus de position dominante ». On parle d’abus de position dominante lorsqu’une entreprise dominante se livre à une activité qui empêche ou réduit considérablement la concurrence sur un marché donné. Il peut s’agir d’une activité prédatrice, destinée à créer des pertes ou des préjudices à court terme, d’une activité d’exclusion, destinée à empêcher un concurrent d’exploiter un marché, ou d’une activité disciplinaire, destinée à punir un concurrent. L’abus de position dominante n’est qu’un exemple de comportement anticoncurrentiel.
Il y a un peu plus d’un an, Innovation, Sciences et Développement économique Canada a publié un rapport résumant les stratégies et tactiques de plus en plus utilisées par les plateformes technologiques à forte intensité de données, afin d’obtenir et de maintenir leur position dominante. Ce rapport s’intitule Study of Competition Issues in Data-Driven Markets in Canada.
Les auteurs ont examiné la manière dont les plateformes technologiques à forte intensité de données obtiennent, contrôlent et exploitent les données pour accroître leurs profits et se protéger de la concurrence. Le rapport a adopté une approche fondée sur des études de cas pour déterminer si les comportements spécifiques des entreprises numériques sont suffisamment pris en compte dans la Loi sur la concurrence du Canada.
La réponse courte est : « Non, ce n’est pas le cas ». Voilà pourquoi l’engagement pris dans le budget de 2022, qui consiste à moderniser la Loi sur la concurrence, est si important, tout comme la consultation publique qu’effectue actuellement Innovation, Sciences et Développement économique Canada sur la réforme de la politique sur la concurrence.
Les neuf comportements examinés par le rapport comprenaient des concepts tels que le « contrôle d’accès », lorsqu’une plateforme décide ce que les utilisateurs voient ou ne voient pas — c’est ce que fait Google en ce moment —, l’« autoréférence », lorsqu’une plateforme donne la priorité à son propre contenu ou à ses propres produits par rapport à ceux des autres plateformes, ou le « copiage », lorsqu’une plateforme utilise des données sous son emprise pour reconnaître le contenu ou les produits qu’elle pourrait vouloir imiter.
Examinons de plus près la question du contrôle d’accès par les plateformes. Dans l’état actuel des choses, les plateformes sont libres d’exercer un contrôle qui désavantage ou exploite les utilisateurs tiers. Google vient d’en faire la démonstration en tant que contrôleur d’accès. L’entreprise peut augmenter ou réduire la visibilité des contenus. Si, comme le propose le projet de loi C-18, une plateforme est tenue de payer à un média d’information une redevance chaque fois qu’un contenu particulier est visionné, Google vient de démontrer qu’elle peut limiter la visibilité de ce contenu, et qu’elle en a peut-être l’intention. Bien sûr que Google le peut. Considérez le fait que les entreprises qui souhaitent atteindre un plus grand nombre de leurs abonnés ont déjà la possibilité de payer Facebook pour avoir le droit de le faire. Comment cela se produit-il?
Prenons le cas d’un organe de presse qui est suivi par 100 000 personnes, mais dont les publications ne sont vues que par un maximum de 800 de ces personnes. Facebook commence à envoyer à cet organe de presse des notifications pour leur offrir la possibilité de payer un certain montant pour qu’il obtienne un certain nombre de visionnements supplémentaires. Ma question est la suivante. Étant donné que les plateformes numériques peuvent ainsi élargir ou réduire l’accès au contenu, pourquoi les laisserait-on encore exercer un contrôle sur l’accès à du contenu journalistique exact et précis?
Avec le recul, on peut facilement comprendre pourquoi, en 2020, le gouvernement de l’Australie a demandé à l’Australian Competition and Consumer Commission, ou ACCC, de faire enquête sur les marchés touchés par l’offre de services de plateforme numérique, et surtout, pourquoi il lui a demandé de faire rapport là-dessus tous les six mois pendant trois ans. Ce gouvernement prend cette question très au sérieux.
Au terme de l’Australian Digital Platforms Inquiry, on a conclu que la domination que Google et Facebook exercent sur le marché a perturbé la capacité des entreprises de nouvelles de soutenir la concurrence, et c’est là-dessus que l’Australie s’est fondée pour établir son code.
Le recours stratégique de l’Australie à l’ACCC — l’équivalent de notre Bureau de la concurrence — est une excellente leçon pour le Canada. L’Australie s’en sert pour se pencher de près sur nombre de problèmes cruciaux pour son économie, sa société et sa démocratie. Elle fait son travail.
En revanche, le ministère du Patrimoine canadien a consulté le Bureau de la concurrence, mais s’est seulement penché sur l’enquête du Bureau au sujet des allégations de conduite anticoncurrentielle de la part de Google entre 2013 et 2016. Il aurait été très utile de mener une consultation beaucoup plus vaste et rigoureuse sur une longue période, surtout à la lumière des plus récentes mesures prises par Google.
J’espère sincèrement que le Comité sénatorial permanent des transports et des communications invitera des experts en droit de la concurrence à témoigner dans le cadre de l’étude du projet de loi C-18, en particulier au sujet de l’application du droit de la concurrence dans les marchés numériques.
Je me suis également demandé quel serait l’impact du projet de loi C-18 sur les organes de presse en ligne qui se sont développés. Quels effets favorables ou défavorables à la concurrence le projet de loi C-18 pourrait-il avoir sur ces organes d’information qui ont réussi à créer des modèles économiquement viables, contre vents et marées?
Je me suis penché sur allNovaScotia, un organe d’information politique et commerciale en ligne, accessible par abonnement et doté d’un verrou d’accès payant. Cela signifie qu’il ne partage aucune de ses informations sur les médias sociaux. L’entreprise a crû au cours des 20 dernières années et est maintenant présente dans quatre provinces. Le projet de loi C-18 ne les aidera pas, et pourrait même leur nuire, parce qu’aucune de leurs nouvelles n’est partagée au-delà de leur cercle d’abonnés.
Qu’en est-il des sites de nouvelles BetaKit ou The Logic? Ces deux entités font face à différents risques et réalités, mais les deux ont pris de l’expansion alors que les médias d’information traditionnels ont connu une décroissance. Il y a beaucoup de leçons à tirer de cela. Qu’en est-il de Canadaland dont le contenu est offert uniquement en baladodiffusion?
Il sera essentiel, selon moi, que le comité comprenne quel sera l’effet du projet de loi C-18 sur ces médias d’information en ligne qui prennent de l’ampleur. Voici quelques-unes de mes questions : quelles conséquences indésirables le projet de loi C-18 aura-t-il pour ces innovateurs? Le gouvernement s’engage-t-il à prolonger le crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique même si le projet de loi est adopté? Les critères d’admissibilité établis pour le projet de loi C-18 et le crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique sont-ils assez inclusifs pour encourager des médias d’information novateurs desservant toutes sortes de communautés?
Regardons ce dernier point de plus près. Si les critères utilisés pour déterminer l’admissibilité d’un média d’information sont fondés sur les médias traditionnels, la plupart des médias d’information émergents risquent d’être disqualifiés. À titre d’exemple, on dit que pour bénéficier d’un soutien, le contenu doit être axé sur des questions d’intérêt général et rendre compte d’événements actuels. Les médias traditionnels couvrent déjà tous les sujets, des sports jusqu’à la météo. Les médias d’information en ligne ne produisent pas ce genre de nouvelles puisqu’on peut les obtenir plus facilement ailleurs. L’exigence que j’ai mentionnée pourrait donc pousser un média d’information en ligne à diluer la qualité et la profondeur du contenu qu’il consacre à notre monde complexe dans le but de se concentrer davantage sur des questions d’intérêt général et d’être ainsi admissible au soutien.
Qu’en est-il du fait que les nouvelles propres à un secteur particulier n’auront pas droit à un soutien? Certains diront que les nouvelles concernant la technologie sont propres à un secteur particulier, bien que la technologie soit omniprésente dans tous les aspects de notre vie, dans tous les secteurs publics et les secteurs d’affaires, et même dans le monde de l’information. Si on utilise des critères fondés sur des médias d’information traditionnels, beaucoup de médias d’information novateurs, indépendants et originaux risquent d’être jugés inadmissibles.
De plus, contrairement aux médias traditionnels, les grands journaux en ligne attirent un lectorat qui est dispersé partout au pays. Ils ne se limitent pas à une seule grande région urbaine, même si, souvent, leurs sièges sociaux s’y trouvent.
En terminant, je vais tourner mon regard vers l’avenir, au-delà des dommages déjà causés, pour voir ce que nous pourrions faire pour éviter des dommages futurs et même pour créer plus de débouchés pour les Canadiens.
En novembre dernier, OpenAI a lancé une plateforme générative d’intelligence artificielle appelée ChatGPT. Au cours des trois premiers mois de son existence, ChatGPT a attiré plus de 100 millions d’utilisateurs et est devenue l’application destinée aux consommateurs qui a connu la croissance la plus rapide de l’histoire. Pourquoi?
L’intelligence artificielle générative peut créer ses propres extrants. Jusqu’à maintenant, les humains ont pratiquement eu le monopole du marché de la création. Ce monde-là est révolu. De plus en plus, on constate que l’intelligence artificielle peut aussi générer des contenus, mais beaucoup, beaucoup plus vite que nous, les humains.
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Quel est le lien avec le projet de loi C-18? Afin de le savoir, j’ai demandé à ChatGPT si l’intelligence artificielle générative, ou IA, peut créer des nouvelles. J’ai instantanément reçu une réponse écrite claire qui confirmait que l’IA peut effectivement créer des nouvelles. Toutefois, il y avait un avertissement disant que la qualité du reportage dépend des données dont ChatGPT va se servir pour apprendre. Autrement dit, des données partielles ou inexactes généreront des reportages partiels ou inexacts.
Je me permets d’ajouter que j’irais encore plus loin. L’IA peut intensifier l’iniquité et la désinformation à la vitesse de l’éclair.
ChatGPT offre aussi un petit conseil : il est important d’informer les lecteurs que l’IA a été utilisée pour créer le reportage.
Étant donné que ces percées technologiques sont survenues dans les trois derniers mois, il est facile de s’imaginer que dans un proche avenir, le contenu général des nouvelles sera refaçonné et prendra la forme de reportages produits pour presque rien et diffusés dans les grandes plateformes technologiques. Quel sera l’impact sur notre démocratie? J’espère que le comité examinera tous les aspects relatifs à la pérennité du projet de loi C-18, y compris les moyens pour éviter que les robots conversationnels comme ChatGPT n’érodent encore plus le caractère rémunérateur du journalisme de qualité. De plus, le comité devra déterminer si le projet de loi C-18 contribuera à créer un environnement durable et concurrentiel pour le journalisme canadien.
Je demande aux membres du comité de se souvenir, dans le cadre de leurs travaux, de la façon dont Google a négocié avec un pays du G7. Ses agissements portent à croire que vous pourriez vouloir déterminer si les témoins que vous entendrez seront contraints par un accord de confidentialité, en conflit parce qu’ils ont déjà négocié une entente, ou s’ils témoignent sous pression ou par crainte que leurs publications ou leurs informations soient diffusées ou non en fonction de leur témoignage.
Que le projet de loi C-18 soit adopté sous sa forme actuelle ou avec des amendements, je continue de me demander s’il arrive assez vite pour sauver ce qui reste des médias traditionnels canadiens. L’échéancier du projet de loi permettrait toujours aux plateformes numériques de se traîner les pieds pendant huit mois après son entrée en vigueur. Je me demande si les fonds éventuels vont vraiment contribuer à venir en aide aux journalistes et au journalisme.
Chers collègues, il faudra garder à l’esprit le slogan du Washington Post, « la démocratie meurt dans la noirceur », au moment d’étudier le projet de loi C-18. L’effondrement catastrophique du journalisme et de la presse mine l’accès à une information et des idées exactes au Canada.
Voilà le problème : des médias qui ne sont pas viables financièrement finiront par mettre en péril notre démocratie.
Est-ce que le projet de loi C-18 fait au moins partie d’un train de mesures approprié? Je le crois. Est-ce que le projet de loi C-18 va contribuer à réduire les préjudices futurs pendant que nous cherchons des solutions plus durables? Je l’espère.
J’ai vraiment hâte de suivre le travail du comité. Merci, chers collègues.
Des voix : Bravo!
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
[Français]
La sanction royale
Son Honneur le Président informe le Sénat qu’il a reçu la communication suivante :
RIDEAU HALL
Monsieur le Président,
J’ai l’honneur de vous aviser que la très honorable Mary May Simon, gouverneure générale du Canada, a octroyé la sanction royale par déclaration écrite au projet de loi mentionné à l’annexe de la présente lettre le 9 mars 2023 à 17 h 10.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma haute considération.
Le secrétaire du gouverneur général et chancelier d’armes,
Ian McCowan
L’honorable
Le Président du Sénat
Ottawa
Projet de loi ayant reçu la sanction royale le jeudi 9 mars 2023 :
Loi modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir) (projet de loi C-39, chapitre 1, 2023)
L’ajournement
Adoption de la motion
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 8 mars 2023, propose :
Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 21 mars 2023, à 14 heures.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
[Traduction]
Affaires juridiques et constitutionnelles
Autorisation au comité de reporter la date du dépôt de son rapport final concernant l’étude sur les questions relatives à l’intoxication volontaire
Consentement ayant été accordé de passer aux motions, articles nos 104 et 105 :
L’honorable Brent Cotter, conformément au préavis donné le 7 mars 2023, propose :
Que, nonobstant l’ordre du Sénat adopté le jeudi 23 juin 2022, la date du rapport final du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles concernant son étude sur l’intoxication volontaire soit reportée du 10 mars 2023 au 30 avril 2023.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
Langues officielles
Autorisation au comité d’étudier les services de santé dans la langue de la minorité
L’honorable René Cormier, conformément au préavis donné le 7 mars 2023, propose :
Que le Comité sénatorial permanent des langues officielles soit autorisé à examiner, pour en faire rapport, les services de santé dans la langue de la minorité, en particulier les enjeux liés :
a)à l’inclusion de clauses linguistiques dans les transferts fédéraux en matière de santé;
b)au vieillissement de la population, notamment la capacité d’obtenir des soins de santé, des soins de longue durée ou des soins à domicile dans sa langue, y compris les ressources linguistiques en appui aux proches aidants, à la qualité de vie des personnes âgées et à la prévention des maladies;
c)à l’accès aux services de santé dans la langue de la minorité pour les communautés vulnérables;
d)à la pénurie de professionnels de la santé dans les établissements publics ou privés assurant des services auprès des communautés de langue officielle en situation minoritaire et aux capacités linguistiques du personnel soignant dans ces établissements;
e)aux besoins des établissements postsecondaires francophones à l’extérieur du Québec et anglophones au Québec en matière de recrutement, de formation et d’accompagnement des futurs diplômés des disciplines de la santé;
f)à la télémédecine et à l’utilisation des nouvelles technologies dans le secteur de la santé, notamment les défis linguistiques qui en découlent;
g)aux besoins en matière de recherche, de données probantes et de solutions pour favoriser l’accès aux soins de santé dans la langue de son choix;
Que le comité soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 31 octobre 2024, et qu’il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt du rapport final.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
Les travaux du Sénat
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-13(2) du Règlement, je propose :
Que la séance soit maintenant levée.
Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
(À 17 h 47, le Sénat s’ajourne jusqu’au mardi 21 mars 2023, à 14 heures.)